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Dumas, des deux Dumas, en sont d’assez remarquables exemples : la Tour de Nesle ou l’Etrangère ne sont pas de la « littérature ; » et il est vrai qu’Hernani ou les Burgraves en sont ; mais, en revanche, ils ne sont point du théâtre. D’un autre côté, si l’idéal romantique ne consiste en rien tant que dans la manifestation ou dans l’étalage du Moi, c’est justement ce genre de littérature que l’art dramatique excuse, comporte, et supporte le moins. Nous ne nous enfermons point, quatre ou cinq heures durant, à quinze ou dix-huit cents, dans une salle de spectacle, pour y entendre un auteur, avec entr’actes et décors, nous conter indiscrètement ses affaires personnelles. Que si d’ailleurs il y a des « formes » qui s’imposent ainsi à la manifestation de la sensibilité personnelle de l’écrivain, il y en a d’autres qui ne sont pas en quelque sorte moins « commandées » par la fidélité de l’observation ; et c’est pourquoi le naturalisme a échoué jusqu’ici au théâtre. Il ne pourrait y réussir qu’en retournant jusqu’à Molière ou jusqu’à Shakspeare, et, au point de vue du théâtre, c’est ce que nos dramaturges appelleraient retourner à l’enfance de l’art. Et puis, et enfin, parmi les conclusions de la critique et de l’histoire générale des littératures, s’il en est une que l’on puisse tenir pour établie, c’est qu’en raison de la faiblesse humaine, propter egestatem natitræ, tous les genres ne sauraient s’épanouir à la fois ; et, de même que dans la nature, il convient d’ajouter que, plus ils sont voisins, plus la concurrence étant âpre et violente entre eux, plus ils se nuisent. L’épanouissement du roman, dans le siècle où nous sommes, a comme étouffé la floraison dramatique.

Mais un autre genre a d’abord profité de ce que perdait le dramatique, c’est le lyrique, et la compensation est assurément de prix, si l’on peut dire en toute assurance que jamais le monde, en aucun temps, pas même au temps de Pindare ou de Simonide, n’avait entendu retentir de plus beaux cris d’amour ou de détresse, de désespoir ou d’orgueil, d’enthousiasme ou de colère, ni vraiment connu jusqu’à nous ce qu’une seule voix peut éveiller ou propager d’émotion dans les cœurs. C’était sans doute une conséquence de l’émancipation du Moi ! Car le lyrisme, on ne saurait trop le répéter, ce n’est ni la splendeur de l’imagination, ni la vérité des peintures, ni l’intensité de l’émotion, toutes qualités qui se retrouvent aussi bien, ou du moins qui peuvent se retrouver dans l’épopée, par exemple, ou dans le discours public, — celui qu’on adressait du haut de la tribune aux Grecs et aux