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curiosités de leur pays, mais tout ce qu’ils pourraient nous en apprendre reste enfoui dans leurs brochures, et les académies de leurs chefs-lieux. N’est-ce pas encore là un des résultats de cette langueur nationale produite par le régime de centralisation excessive où le pays s’atrophie depuis la Révolution ? En réduisant la France à ne plus rien être en dehors d’une certaine France officielle, en faisant d’elle, non plus une nation vivante, mais une mécanique, un automate remonté avec une clé, une sorte de France de Vaucanson, ne l’a-t-on pas comme annulée jusque dans sa vraie histoire et sa vraie géographie ? Ne la détruit-on pas jusque dans le souvenir de ce qu’elle fut, et le tableau de ce qu’elle est encore ? Ne serait-ce pas contribuer, dès lors, à lui redonner l’envie de vivre, que de lui remontrer tout ce qu’elle eut autrefois de vivant, tout ce qu’elle aurait encore de cadres tout construits pour une résurrection provinciale ?


II

Vous ne voyagerez guère en France sans y rencontrer ainsi un peu partout l’occasion de ces réflexions, mais vous ne verrez pas beaucoup d’endroits où l’on en soit aussi hanté qu’à Brantôme, dans le coin du Périgord où sont encore les restes de l’ancienne seigneurie de Pierre de Bourdeilles. Souvenirs, maisons, ruines, paysage, curieuse existence actuelle, tout se multiplie là pour vous intéresser, et je ne connais pas, d’abord, d’impression plus particulière que l’apparition même du bourg, subitement aperçu au milieu des collines, de la route qui vous y mène. Une lointaine vision de grandes façades blanches, en même temps que de lanternes et de petits dômes, comme accrochés autour d’un lourd clocher, une sorte de vague ville-fantôme à reflets d’ardoise bleuissans, s’ébauche tout à coup au fond d’une vallée boisée, derrière de grands peupliers qui s’effilent dans l’atmosphère comme dans le tremblement d’une eau. On dirait la ville engloutie de la légende bretonne, l’imaginaire ville d’Ys ensevelie dans la mer, et la sensation, un peu plus tard, en est encore plus marquée, lorsque vous retrouvez, en arrivant, votre apparition de lanternes, de peupliers et de clochetons la tête en bas, dans l’éparpillement de biefs, d’écluses et d’eaux dormantes, dont l’entoure, comme d’une ceinture de morceaux de miroirs cassés, la rivière qui l’enferme dans sa boucle.