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de son houka ou en mâchant une feuille de bétel. Il serait obligé de m’avouer combien il lui est difficile d’aimer l’une et de vénérer l’autre de ces deux créatures qui ne sont propres qu’à recevoir des ordres ou des caresses, mais ne comprendront jamais un mot de ce qui se passe dans son cerveau et dans son âme.

Et je lui dirais : « O mon ami ! toi qui as tant appris et qui sais si peu de chose, la déchéance de ces femmes explique la tienne, leur servitude justifie ta servitude. Si durement égoïste, si maladroitement destructive que soit, sous ses apparences de modération et de justice, la politique de tes maîtres, ils continueront à te gouverner ; ils en auront le droit et, jusqu’à un certain point, la mission tant que, chez vous, l’élément constitutif de la société, la famille, sera vicié par une abominable iniquité, tant que celle qui doit partager avec toi les soucis, les joies, les responsabilités, l’éducation des enfans et le poids de la vie ne partagera que ta couche. Sache-le : il ne naîtra pas d’hommes libres de l’accouplement du maître et de l’esclave. Manou a dit un jour : « Là où la femme n’est pas honorée, la famille périt. » Assurément le sage se contredisait, mais quoi de plus humain ? C’est le seul moyen que nous connaissions d’avoir quelquefois raison. Ce jour-là, il était bien inspiré. Oui, la famille périt là où la femme n’est pas respectée ; elle se relève, et avec elle la société, les mœurs, la loi, la vie publique et l’idéal moral, lorsque la femme reçoit ce qui lui est dû. Écoute donc Manou, ou, ce qui vaut mieux, écoute ton cœur et ta raison. »


AUGUSTIN FILON.