Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 156.djvu/603

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Mahabharata et le Ramayana. Elles portent des noms nouveaux ou, si elles gardent les anciens, elles ont reçu de l’avancement ; elles ont été promues d’une classe à une autre. Les héros passent demi-dieux ; les demi-dieux deviennent des dieux véritables ; les vieilles divinités védiques revivent, transformées, matérialisées, dans leurs modernes avatars. La religion hindoue se bifurque en Vaischnavisme et en Civaïsme. Le culte de Vichnou et celui de Siva ont, à leur tour, tant de subdivisions, et parfois si diverses, que la même doctrine engendre l’idéalisme le plus suave, l’ascétisme le plus rigide, en même temps qu’elle couvre les derniers excès du priapisme en délire.

Dans un pays où la pensée religieuse a tant varié, si souvent mué, où noter l’hérésie et comment la proscrire ? Pas d’hétérodoxie possible là où il n’y a point d’orthodoxie définie. Il paraît que l’esprit indien se refuse à concevoir la vérité comme opposée à son contraire ou comme distincte de son analogue. Il ne connaîtra donc jamais la proscription religieuse. Au frontispice de leurs lois, les brahmanes ont inscrit non seulement la tolérance, mais l’égalité des religions. « Plus il y a de fleurs dans un parterre, plus le jardin est beau. » La soumission des races autochtones par les Aryens, graduelle et pacifique, fut moins une conquête qu’un apostolat. Au temps de l’invasion musulmane, les deux cultes vécurent jusqu’au temps d’Aureng-Zeb dans une intimité qui, par momens, semblait promettre une fusion. Ramananda, Cabir, Chaitanya, les grands prédicateurs du moyen âge, appelaient autour d’eux, sans distinction de croyances, les hindous et les mahométans, et l’un de ces hommes présentait en exemples à la dévotion des fidèles Krichna et Ali comme deux avatars de la Divinité. Seule, la persécution d’Aureng-Zeb, le Louis XIV musulman de l’Inde, changea pour un temps cet état de choses et transforma la secte religieuse des Sikhs en une confédération armée. L’Inde était revenue à ses habitudes de tolérance lorsque commença la période anglaise. Elle rencontra une tolérance égale chez ses nouveaux maîtres. Tout occupée d’exploiter sa conquête, la Compagnie demandait des dividendes et non des conversions. Elle craignait fort qu’un réveil soudain du fanatisme, chez ses sujets hindous ou mahométans, ne vînt troubler ses opérations commerciales. Elle persécuta les missionnaires chrétiens, et on est fort amusé d’apprendre qu’en 1792 quelques-uns, des plus fougueux durent se réfugier chez les Danois à Scrampore, ou