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aujourd’hui à notre latinité viennent d’un régime démocratique encore mal conçu, amorphe et inorganisé.


Enfans de six mille ans qu’un peu de bruit étonne,


nous sentons devant le présent s’ébranler notre foi en l’avenir. Pourtant, découpez au hasard dans notre histoire un quart de siècle, et comparez-le froidement avec les vingt-cinq dernières années qui achèvent notre siècle ; le désavantage sera-t-il toujours du côté du présent ? Ce qui est étonnant, en vérité, c’est que, n’étant pour ainsi dire plus gouvernés, mais abandonnés à nous-mêmes, délivrés de tout frein, lancés sans apprentissage préalable en pleine licence, jetés en proie à tous les agitateurs, meneurs, exploiteurs, politiciens, hommes de plume, hommes de finances, nous ne soyons pas pires ! Quel autre peuple, à notre place, avec un tel régime d’irresponsabilité et d’impunité universelle, ne ferait pas autant et plus de folies ? Nous nous contentons ordinairement d’en dire beaucoup ; c’est une sagesse relative ! Les « Anglo-Saxons » devraient nous juger sur ce que nous faisons, non sur ce que nous disons.

Récemment encore, quelques professeurs, dans la jeune et confiante Amérique, ont cru devoir donner comme sujet à leurs élèves : « Pourquoi la France et les nations néo-latines sont-elles en décadence ? » Mais d’autres professeurs, également en Amérique, font volontiers appel aux écrivains français pour leur demander des conférences et des leçons. S’il s’agit d’un concours pour une nouvelle Université à construire, par exemple à San Francisco (où l’on disposait d’une somme de quarante millions), le jury international met au premier rang quatorze concurrens dont neuf Français, les autres de diverses nationalités, mais tous élèves de notre Ecole des Beaux-Arts ; puis, parmi ces quatorze, le jury finira par donner le prix à un Français. Dans combien d’autres branches les concours ne nous seraient-ils pas favorables ! C’est un Américain sociologue de grand savoir et de bonne foi, M. Lester Ward, qui a dit : « Il n’y a pas de plus grande erreur que de se représenter l’esprit français comme léger et banal. J’ai entendu des mathématiciens, des astronomes, des physiciens relever l’erreur en question pour les grands départemens de leurs sciences respectives. Tout chimiste, anatomiste, physiologiste est obligé d’être familier avec la pensée française sur ses sujets. Ce fut Lamarck qui réellement ouvrit la voie à la nouvelle