Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 156.djvu/590

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’Amérique et de l’Allemagne n’adorent-ils point trop souvent la force individuelle, la force qui prime le droit, chez les individus comme chez les peuples, qu’elle soit « anglo-saxonne » ou « germanique ? » Ils répètent aux jeunes gens : « Soyez pratiques ! soyez énergiques ! » Traduction trop fréquente : « Soyez brutaux ! Enrichissez-vous par tous les moyens. Le succès justifie tout. »

Parmi les prétendus Néo-Latins, les Français sont ceux qui s’accusent le plus volontiers eux-mêmes. Il y a partout des « fanfarons de vertu, » et aussi des « fanfarons de vice ; » les premiers sont les hypocrites, et ce n’est pas en France ni chez les Néo-Latins qu’ils sont les plus nombreux ; peut-être trouverait-on outre-Manche et même outre-Rhin plus de fanfarons de vertu que sur les bords de la Méditerranée. En revanche, les fanfarons de vice abondent parmi nous et y font une étrange ostentation de « décadentisme, » dont nos voisins, sur la roue de la fortune, profitent pour s’écrier : Habemus confitentem reum ! Les Italiens, aujourd’hui, se mettent à faire montre comme nous de vices néo-latins. Ne faisons pas le jeu de nos concurrens et de nos rivaux. A l’étranger, ceux qui parlent tant de la décadence des nations latines sont tout simplement ceux qui sont en rivalité avec elles et qui ne demanderaient pas mieux que de recueillir leur héritage. Mettons-nous en garde contre le découragement qu’ils voudraient nous inspirer. Le pessimisme, par ses effets d’autosuggestion déprimante, est comme la jalousie dont parle Othello : le monstre aux yeux verts qui fabrique lui-même le poison dont il se nourrit.

Ce sont les conditions économiques qui, dans notre siècle, ont nui le plus aux pays dits néo-latins, mais, par les progrès de la science, dont les résultats s’étendent toujours d’une nation à l’autre, les conditions industrielles, agricoles, commerciales, iront partout s’améliorant, et la solidarité des peuples en sera fortifiée. Ne mesurons donc pas tout au degré de puissance actuelle, et n’estimons pas uniquement les peuples d’après les succès matériels. La nation « latine » qui semble le plus en baisse est assurément l’Espagne. Mais si, dans sa dernière guerre, l’Espagne a perdu beaucoup d’argent, elle a perdu aussi beaucoup d’illusions : cette dernière perte est un gain, pourvu que la nation cesse enfin de rêver à l’impossible pour rêver au possible. Débarrassée du poids mort de ses colonies, il faudra bien qu’elle cherche à faire