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VII

Il n’est pas aussi sage que le croient MM. Ferrero et Sergi d’exciter les nations latines à la servile imitation des anglo-saxonnes et des germaniques. S’il est incontestable que, eu égard au nombre moindre de leurs habitans et à l’état de leur industrie ou de leur commerce, les nations du Midi ne peuvent étendre leurs conquêtes et leur trafic à l’égal des nations du Nord et de l’Ouest, c’est une raison de plus pour qu’elles n’abandonnent pas leur culture latine et leur génie dans les arts. C’est là que l’Italie pourra dire : Je ferai par moi-même, et surtout : Je serai moi-même. Et la France aussi farà dà se. Un Anglais qui a longtemps vécu en France, qui connaît à fond notre pays, qui lui a consacré deux gros volumes nourris de faits, qui enfin ne lui refuse ni son estime ni sa sympathie, M. Bodley, disait récemment aux Français : « C’est en cultivant votre génie national, formé par vos aïeux, que vous maintiendrez la grandeur de votre race ; ce n’est pas en le transformant selon les ordonnances de vos empiriques anglomanes. Ensuite, l’imitation n’est-elle pas un signe d’infériorité[1] ? »

Quand on propose aux Espagnols comme modèles les Anglo-Saxons, ils demandent s’ils ne pourraient pas apprendre d’eux « l’acquisivité » et « l’instinct d’appropriation » plutôt que « la loyauté et l’humanité. » Si l’Angleterre a de très réelles vertus, sa principale vertu aux yeux des admirateurs de la race anglo-saxonne, c’est sa puissance et sa richesse. Mis à l’abri de ses voisins par sa position, le peuple anglais devait être, après les Hollandais, le premier chez qui l’esprit militaire, devenu inutile, cédât le pas à ce que Spencer appelle l’industrialisme. L’Anglais finit par comprendre qu’il valait mieux commercer que guerroyer et piller. De là au développement de l’esprit mercantile, il n’y avait pas loin, et l’idée d’intérêt devait finir par être prédominante.

Le grand peuple anglo-saxon, depuis un siècle, a élevé à la dignité d’un culte l’amour de l’argent. Cet amour, sans doute, est presque aussi vieux que le monde, mais, si l’on honora toujours les riches, on n’honorait pas l’amour même de la richesse ;

  1. Discours au Congrès d’économie sociale.