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spirituelle. Que cette cité, dans le catholicisme, devienne une monarchie absolue, il pourra se faire que l’individu perde parfois le sentiment de lui-même dans sa soumission au pouvoir religieux. Si les peuples du Midi et si la France ont montré l’amour de la centralisation politique et religieuse, ils le doivent moins à leur génie de race qu’à leur éducation latine et au double joug que leur imposèrent la Home des empereurs, puis la Rome des papes. On ne saurait encore voir là une infériorité, car l’avenir n’est pas plus au pur individualisme qu’au socialisme exclusif ; il sera la synthèse de la dignité et de la subordination sociale, de la liberté personnelle et de la centralisation.

On attribue aux Latins, comme qualité intime, l’assujettissement volontaire au pouvoir d’un seul, le « besoin inné de tutelle gouvernementale. » Mais ce besoin, s’il existe, vient d’une longue habitude d’être gouverné. En France, les excès du pouvoir absolu ont produit une habitude de ce genre, qui persiste et fait que nous ne savons pas encore nous gouverner nous-mêmes. Un défaut non pas de la race, mais de l’éducation latine, c’est l’habitude de compter toujours sur un individu, un sauveur, un héros comme ceux de Carlyle, qui pourtant n’était pas un Latin. On confond trop la moralité avec l’héroïsme, et on compte trop sur l’héroïsme des autres plutôt que sur son effort personnel. C’est une ressouvenance persistante des temps héroïques de la Grèce et de Rome. Mais, si vous songez que le progrès de la liberté individuelle n’empêche nullement celui de l’action collective et de l’intervention gouvernementale, vous reconnaîtrez qu’il n’y a encore là aucune marque de décadence : c’est plutôt l’anticipation d’un avenir encore trop éloigné.

Le sentiment de l’égalité s’est particulièrement développé dans les nations de culture latine, parce que la loi et les institutions romaines avaient un caractère de généralité et même d’universalité devant lequel s’effaçaient les irrégularités individuelles. En France, surtout, a fini par se répandre l’amour de l’uniformité. C’est, au contraire, une tendance des Anglo-Saxons que de distinguer et de diversifier pour établir une répartition et une hiérarchie des tâches. Division du travail, tel est le grand secret, plus d’une fois signalé, de la prospérité anglaise. Dans l’industrie, cette division accompagnée de coopération a produit les résultats que l’on sait. L’ouvrier anglais n’a pas la prétention de savoir tout faire, comme l’ouvrier français ou