Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 156.djvu/520

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

des gens bien élevés comme leur langue maternelle. La dépouiller de ce privilège pour la réduire à une manière de s’exprimer peu connue et peu comprise, propre seulement à desservir les relations d’affaires ou de commerce d’un cercle restreint, c’était lui imposer une déchéance et comme la marque d’un cachet d’infériorité.

Une souffrance et une haine communes, il n’en faut pas davantage, l’expérience de tous les temps l’a prouvé, pour rapprocher des hommes longtemps ennemis, quels que soient sur d’autres points les sentimens et les intérêts qui les divisent. Aussi n’y a-t-il pas lieu de s’étonner qu’entre Belges catholiques et Belges libéraux, se sentant également menacés dans leur dignité et leur existence nationale, un accord se soit fait naturellement avant même que l’on songeât à en discuter les conditions. Une antipathie de race avait été imprudemment réveillée ; elle devait faire oublier tout antagonisme philosophique ou religieux. Il ne s’agissait plus de savoir si on était attaché ou hostile à telle ou telle influence religieuse, mais bien si on resterait Belge ou si on consentirait à devenir Hollandais. Mais, l’union qui se faisait d’elle-même, devint nécessaire et dut être régulièrement organisée, quand le sentiment public surexcité fit un devoir aux hommes de toutes les opinions de travailler à s’affranchir d’un joug qui s’appesantissait tous les jours. Aucun auxiliaire ne dut paraître dès lors à dédaigner pour tenir tête à l’obstination passionnée d’un prince aveuglé, d’autant plus que, dans la constitution dont il avait fait don à ses sujets, il ne leur avait réservé aucun moyen légal de s’opposer à ses volontés. La loi fondamentale, obtenue par le tour d’adresse qu’on peut se rappeler, ne contenait aucune des garanties qui sont regardées aujourd’hui comme essentielles à la liberté politique. Elle ne faisait aucune part à la responsabilité ministérielle, ce qui permettait de convertir en attentat à la majesté royale toute résistance à un acte d’arbitraire administratif. Le jury, dont Napoléon lui-même avait conservé au moins l’apparence, bien qu’en annulant parfois ses arrêts, était supprimé et remplacé par une magistrature révocable à volonté. Enfin la presse, à qui une liberté nominale était promise, restait régie par un édit provisoire qui soumettait toute publication à tant de précautions préventives et de pénalités menaçantes que la censure même aurait paru préférable. Il y avait donc une double lutte à soutenir : il fallait conquérir d’abord la liberté politique comme