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Qui ne dit mot consent, tous les absens furent censés avoir approuvé, ce qui donnait déjà à la loi un avantage de onze voix. C’était peu pour décider de la destinée d’un peuple ; mais l’autre invention plus efficace fut de retrancher du nombre des opposans 126 votans qui avaient motivé leur dissentiment sur ce fait, qu’un des articles proposés établissait la complète égalité des deux cultes, ce qui répugnait à leurs habitudes et ce qui alarmait leur conscience. On déclara que cette égalité, faisant partie des bases imposées par les puissances à la constitution du royaume, on n’avait pas le droit d’y porter atteinte, et 126 voix négatives furent rayées d’un trait de plume.

Mais on ne tarda pas à voir que ces 126 catholiques scrupuleux ne seraient pas évincés si facilement. La loi une fois promulguée, le serment de la maintenir et de la respecter était demandé pour toutes les fonctions publiques et les actes principaux de la vie civile. Ce fut le sujet d’un mandement signé par tous les évêques de la province, en tête desquels figurait le nom de M. de Broglie et portant le titre de Jugement doctrinal. Interdiction y était faite à tous les fidèles de s’engager à maintenir des dispositions qui, mettant l’erreur sur le même pied que la vérité, blessaient gravement la dignité et menaçaient la liberté de l’Église.

On peut s’étonner qu’un évêque français, comme M. de Broglie, après avoir vécu paisiblement, sous le régime accepté par le Concordat, en bonne intelligence avec les divers cultes que la loi française met à peu près sur le même pied, se montrât si difficile pour accepter la même égalité inscrite dans la loi belge. Comment en était-il revenu à confondre une tolérance légale qui n’implique aucune adhésion dogmatique avec une indifférence systématique qui en matière religieuse serait la négation même de la foi ?

C’est qu’une autre disposition de la loi fondamentale, également signalée dans le Jugement doctrinal, montrait que, dans le cas particulier, ce niveau d’égalité passé avec une certaine affectation sur tous les cultes pouvait avoir des conséquences dont, en France, on n’avait pas eu à se préoccuper. C’était l’article qui reconnaissait au roi la direction souveraine de l’enseignement public, dans les écoles supérieures, moyennes ou primaires ; en un mot le monopole universitaire créé par Napoléon et transféré de toutes pièces sur ce terrain où il n’avait (pas plus en Belgique qu’en Hollande) jamais existé. Il y avait, de plus,