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d’un nouveau Roméo, car celui de Weisse ne m’a point plu, à le lire d’un trait. » Vers le même temps, il apprend à connaître les poèmes de Hagedorn : deux d’entre eux, les Amans et la Nuit, lui paraissent ne pas exprimer avec assez de relief les sentimens qu’ils expriment : et voici que Goethe s’empare des mêmes sentimens pour en faire le sujet de deux poèmes tout semblables de forme à ceux de Hagedorn, le Chant du Nouvel An et la Belle Nuit.

A Strasbourg, où il va ensuite, il lit Shakspeare. Il s’aperçoit que, dans Jules César, la figure de César lui-même est sacrifiée à celle de Brutus ; et aussitôt il entreprend d’écrire un César où ce défaut du drame anglais se trouve corrigé. Dans une autre pièce, Stella, il reprend le caractère d’une héroïne de Lessing, Sarah Simpson, et s’efforce de lui donner plus de naturel. Son Iphigénie lui est inspirée par le désir de nous montrer que les vieux poètes ont eu tort de recourir au merveilleux pour relever l’intérêt de leurs drames, et qu’ils ont eu tort aussi de faire trop bon marché des préjugés moraux. Il nous apprend lui-même qu’il a voulu protester contre la superstition des tragiques grecs, et l’immoralité des tragiques latins.

Le livret de la Flûte enchantée l’amène à concevoir un autre livret qui, sous prétexte d’en être la continuation, a en réalité pour objet d’en mieux mettre en valeur la portée symbolique. En 1792, il est très préoccupé de la question de savoir en quelle mesure la poésie moderne peut tirer parti des fabliaux du moyen âge. « Et comme je sais fort bien que mon éducation ne peut se faire que par voie pratique, j’ai profité de l’occasion pour écrire quelques milliers d’hexamètres. » Ces quelques milliers d’hexamètres sont le Reinecke Fuchs, une de ses œuvres les plus originales. En 1796, la Louise de Voss pose le problème de la possibilité d’une épopée bourgeoise. Et Goethe, avant de se mettre à Hermann et Dorothée, écrit à son ami, le peintre Meyer : « J’ai beaucoup réfléchi à tout ce qui s’est dit, ces temps derniers, à l’occasion des travaux de Voss, et j’ai entrepris un ouvrage nouveau où, tant au point de vue de l’invention qu’à celui de la prosodie, j’essaierai de trancher divers points douteux, car c’est de cette façon pratique que je réussis le mieux à exprimer mes idées théoriques. »

Faust lui-même est encore un effet de sa « critique productive. » Goethe ne nous dit-il pas, dans ses mémoires, que, depuis l’enfance, le Faust du théâtre de marionnettes de Francfort a hanté son cerveau, y faisant naître sans cesse de nouveaux projets ? Mais ici le rôle du critique proprement dit s’efface devant celui du théoricien et du philosophe ; et si la pièce du théâtre de marionnettes a été la « cause