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reprises d’Athalie ou de Phèdre. Les rôles en seront sus par plusieurs interprètes à la fois, en sorte qu’on ne se trouvera pas dans l’impossibilité de jouer le Malade imaginaire faute d’acteurs. Enfin ces rôles ne seront pas joués à contresens. Ce sera la grande nouveauté. Et c’est ici que l’intervention personnelle de l’administrateur devra surtout se faire sentir. Il aura à lutter, je ne me le dissimule pas. Il faudra de l’énergie. Mais justement nous inscrivons l’énergie en tête du programme. Et la Comédie, métamorphosée, redeviendra ce qu’elle doit être pour être elle-même : un théâtre consacré à représenter dans leur gloire toujours nouvelle les chefs-d’œuvre de deux siècles d’art et à en maintenir l’admiration dans le public tant étranger que français.

Tout occupée à cette œuvre de conservation, il est clair que la Comédie éprouvera le besoin de se désencombrer en rejetant un nombre considérable d’ouvrages qui, prenant de l’air et de la place, nuisent à la juste perspective. Le répertoire des Scribe, des Casimir Delavigne et des Dumas père n’a plus qu’un intérêt historique et n’a plus même une ombre de vie. A quoi bon exhumer Henri III et sa cour ou Une famille au temps de Luther ? Et qui regrettera Bertrand et Raton, les Demoiselles de Saint-Cyr et tels autres spécimens d’un théâtre dont c’est l’essence de se passer de littérature ? Du même coup, on rayera de l’affiche du Théâtre-Français une catégorie d’ouvrages qu’il n’y aurait jamais fallu inscrire : la Vie de Bohême et le Bonhomme Jadis, le Voyage à Dieppe et le Mari à la Campagne, et les Petits Oiseaux, et le Testament de César Girodot, pour ne citer que ceux-là. Quand la Comédie aura ainsi retrouvé prestige et autorité, il lui deviendra plus facile de faire son choix dans la production contemporaine et de se montrer exigeante à l’égard de ceux qui viennent frapper à sa porte. Elle n’acceptera, cela va sans dire, ni un Député de Bombignac, comme elle avait fait du temps de M. Perrin, ni un Camille comme elle a fait avec M. Claretie. Mais surtout elle pourra plus aisément repousser les avances séduisantes de ceux qui l’invitent à s’annexer le premier essai de chaque débutant. La Comédie n’est tout de même pas un théâtre d’essai. Elle n’a pas pour objet d’aider à naître les jeunes talens, mais bien de consacrer les talens déjà éprouvés ailleurs et qui s’efforcent de se conformer au goût de la maison. Loin de se plier aux modes régnantes et de céder aux entraînemens du public, elle y résistera. C’est ainsi qu’elle sera utile au mouvement du théâtre, qu’il ne lui appartient pas de précipiter, mais bien de modérer et de régler, comme elle seule est en possession de le faire.

Le cas de la Comédie-Française est celui de toutes les institutions