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se portent avec une énergie désespérée au secours de Corneille abandonné et de Racine trahi. Ils nous révèlent tout à coup des trésors d’érudition qu’ils avaient jusqu’ici dissimulés avec un raffinement de coquetterie. Ils savent dans quel « mouvement » se doit jouer chaque pièce du répertoire. On presse ce mouvement, à moins qu’on ne le ralentisse ; et cela blesse la justesse de leur oreille exercée. Ce « mouvement » est le « tarte à la crème » dont Molière en son temps se fût égayé. Le mouvement, messieurs ! jouez dans le mouvement, ou ne jouez pas ! Et, bien entendu, je ne conteste pas la sincérité de ce zèle pieux. Quel malheur seulement qu’il ait attendu, pour éclater, quinze années et la démission de M. Le Bargy !

Les responsabilités sont, comme on le voit, multiples, et partagées dans une question qui n’est autre que celle de notre art traditionnel. Après l’avoir reconnu, on est peut-être en meilleure posture pour rechercher les moyens de rendre à cette vieille institution tout son lustre. Comme tout ce qui représente la tradition, la Comédie-Française a coutume de rencontrer dans une partie de l’opinion et de la presse une hostilité parfois sourde, mais plus souvent bruyante, et qui lui est le principal obstacle à remplir son véritable rôle. Il se trouve qu’au contraire tout le monde aujourd’hui s’arme pour sa cause. Nous sommes tous prêts à faire un rempart de notre corps au grand art menacé. Le vent souffle à la tradition. Que la Comédie se hâte de profiter d’une occasion qui pourrait ne pas se représenter de sitôt ! Qu’elle utilise pour le mieux de ses intérêts ce concours de bonnes volontés ! Qu’elle ne laisse pas à ses bouillans défenseurs le temps de se calmer ou peut-être de foncer avec le même entrain dans le sens justement opposé. Et puisqu’il faut bien se rendre à la toute-puissance de l’opinion, quelle lui donne une prompte satisfaction, en abandonnant, devant que la semaine ne s’achève, les fâcheux erremens introduits par M. Perrin et contre lesquels se fait cette formidable levée de boucliers. C’est une orientation générale à changer complètement et du jour au lendemain ; mais, quand on se met en frais de réformes, il n’est que d’opérer en grand : les nouveaux amis de la Comédie-Française n’en demandent pas moins. Au lieu que tout l’effort se porte sur les pièces nouvelles, il va falloir au contraire donner toute l’attention, tous les soins, toute une jalouse et ardente sollicitude à l’entretien du répertoire. D’abord on le jouera, ailleurs qu’en matinées ou par de beaux soirs d’été, autrement que devant des collégiens ou devant des banquettes. Les chefs-d’œuvre en seront constamment à la scène, et on ne sera pas obligé de patienter une dizaine d’années entre deux