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le tableau de la troupe d’aujourd’hui. Elle n’est pas brillante. On aperçoit tout de suite quels sont ceux qui n’y devraient pas figurer : on aperçoit sans plus de peine les lacunes. Comment combler ces lacunes ? Suffirait-il de se retourner vers les autres théâtres et de leur enlever des artistes désignés par la correction toute classique de leur talent ? Où sont ces artistes ? Et seraient-ce par hasard Mme Réjane et M. Guitry ? Ils sont bien où ils sont et vraisemblablement, ils paraîtraient moins à leur avantage dans un cadre plus solennel. Ce n’est pas tout à fait la même chose de jouer Zaza ou Célimène, et d’interpréter un rôle de M. Donnay ou un personnage de Racine. Où est le théâtre qui détient une Chimène, une Athalie, une Doña Sol ? En comédiens comme en auteurs nous ne sommes pas très riches ; il y a disette de jeunes premiers, et pour ce qui est des tragédiennes, la pénurie va jusqu’à la misère noire. Ne l’avouons que la mort dans l’âme, mais tout de même avouons-le.

N’est-il pas vrai, au surplus, qu’un public a presque toujours le théâtre qu’il mérite ? Nous serons suffisamment édifiés sur les goûts du « grand public » si nous faisons la revue des « grands succès » de ces quinze dernières années. Il se pressait, sans y chercher malice, aux pièces de M. Ohnet ; c’est assez la preuve que la banalité ne lui fait pas peur et qu’il ne raffine pas beaucoup sur la qualité de ses divertissemens. Dans le succès qu’il a fait à Cyrano, quelle part revient au gracieux talent du poète et quelle part au jeu de l’acteur ? Dans Madame Sans-Gêne, ce qui le séduisait, c’était la rouerie de l’intrigue et la merveilleuse entente des détails scéniques. Il court à toutes les polissonneries ; cela même explique qu’on l’en fournisse si abondamment et que des auteurs capables de meilleures besognes aient gâté leur talent pour lui plaire. Il court aux farces et aux pantalonnades, et, depuis les Surprises du Divorce jusqu’à la Dame de chez Maxim, les plus énormes bouffonneries sont celles qu’il préfère. Il y a une partie du public à laquelle on serait plus particulièrement en droit de demander compte de ses goûts : le public d’élite ; c’est le pire. L’habitué du Théâtre-Français qui aurait pu souffler leur rôle aux acteurs, qui les guettait aux passages difficiles et se souvenait des intonations traditionnelles, est un type fossile. Lui aussi, il appartient à un « âge révolu. » C’était un lettré ; autant dire que ce n’est pas un homme de ce temps-ci. On l’estimait pour son goût de dilettante et de connaisseur raffiné ; nous nous moquerions de ce vieux monsieur. C’est dans ce public d’élite que sévit le snobisme, c’est lui qui est prêt pour tous les engouemens, lui qui se pâme aux