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d’amener à la Comédie en organisant les abonnemens. Le public aime ce qui l’amuse, et nos vieux chefs-d’œuvre, encadrés dans le vestibule d’un palais à volonté, ce n’est guère amusant. M. Perrin lui donna des décors, des costumes, de la mise en scène. Le public aime le moderne, tout en ne s’y aventurant qu’avec prudence et sous la garantie des réputations établies. En faisant jouer à grands frais par des sujets d’élite les ouvrages des plus fameux entre les contemporains, il livrait bataille sans courir trop de risques. J’entends bien que c’était son droit de mettre toutes les chances de son côté. Mais voici les conséquences du système. C’est M. Perrin qui a donné l’exemple de « moderniser » la Comédie-Française et d’en faire un autre Gymnase ou un Vaudeville subventionné. A de longs intervalles, après plusieurs mois d’études, il remettait à la scène une pièce classique, qui, par l’éclat de la distribution et par d’ingénieux procédés de rajeunissement, faisait l’effet d’une « nouveauté. » C’est le contraire de ce qui aurait dû être ; car ni le Cid, ni le Misanthrope ne devraient jamais paraître « nouveaux » à la Comédie-Française ; et cela équivalait justement à l’abandon du répertoire. C’est M. Perrin, qui en mettant toujours en ligne les chefs d’emploi faisait plus que de compromettre l’avenir de la troupe. Chaque fois qu’on allait à la Comédie on était sûr d’y retrouver Got et Delaunay, Thiron et Coquelin, Febvre et Barré, Mme Sarah Bernhardt, Mlle Reichenberg, M, le Samary ; on les aimait ; on était habitué à leur manière de jouer, à leur talent, à leurs procédés, à leurs tics et à leurs défauts ; on allait à la Comédie, attiré par eux, autant que par la pièce qu’ils devaient jouer ; on en venait à penser que, le jour où Got, Delaunay, Thiron, Coquelin, Febvre, Barré, Sarah Bernhardt, Reichenberg, Samary, ne seraient plus à leur poste, la Comédie ne serait plus que l’ombre d’elle-même. Ce jour est arrivé ; et, les généraux ayant disparu ou s’étant dispersés, on s’est aperçu que derrière eux il n’y avait pas de troupe. Ajoutez que le moment était singulièrement favorable pour un administrateur de la Comédie-Française ; il avait à sa disposition un ensemble d’œuvres modernes sur lesquelles l’accord s’était fait. A tort ou à raison, la grande majorité du public pensait que le système dramatique d’Augier et de Dumas était la forme même de la comédie de mœurs. Il ne discutait pas : il applaudissait avec conviction. Il allait respectueusement voir des œuvres qu’il fallait avoir vues. Cependant, peu à peu, les acteurs se fatiguaient, les auteurs vieillissaient, les chefs-d’œuvre se fanaient. C’est pourquoi, lorsque M. Perrin se prenait à songer qu’il aurait quelque jour un successeur,