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d’autres avantages. Elle ouvrirait un débouché à l’activité des classes cultivées ; elle mettrait fin ou, du moins, elle apporterait un soulagement à ce singulier état de langueur et d’inquiétude qui les mine et les étiole. Elle rétablirait la communication entre la race gouvernante et la race gouvernée. Le fonctionnaire indien mettrait au service du gouvernement sa connaissance profonde et en quelque sorte innée des mœurs et des sentimens intimes qui fait si cruellement défaut au moderne civilian. Ainsi l’intérêt, la politique, la justice semblent d’accord, et il y a longtemps que les Anglais l’ont reconnu. Dès 1834, au temps où lord William Bentinck, ce grand homme de bien, était vice-roi, le gouvernement déclarait que « nul des sujets de Sa Majesté résidant dans l’Inde ne pourra être réputé incapable d’occuper une place ou un emploi quelconque dans le service public à raison de son lieu de naissance, de son extraction ou de sa couleur. » Voici les paroles qu’on mettait en 1858 sur les lèvres de la Reine, au moment où, par la disparition de la Compagnie des Indes, elle reprenait la souveraineté directe de son empire asiatique : « Nous nous considérons comme liée envers les natifs de l’Inde par le même lien moral qu’envers tous nos autres sujets et, avec la protection du Dieu tout-puissant, nous remplirons ce devoir consciencieusement et fidèlement. Et c’est aussi notre volonté que tous nos sujets, autant que faire se pourra, à quelque race ou à quelque religion qu’ils appartiennent, soient librement et équitablement admis à remplir tous emplois et charges de notre service, pour lesquels ils seront dûment qualifiés par leurs aptitudes, leurs connaissances et l’intégrité de leur caractère. « C’est là un noble langage. J’y trouve comme un parfum d’antique sagesse et d’antique vertu, le souvenir des temps lointains où le Roi était un juge et un père. Mais, pas plus que les promesses de 1834, ces paroles n’ont été suivies d’effet. Les Indiens sont, en principe, admissibles dans le service civil, mais à la condition de venir passer à Londres l’examen institué par lord Macaulay. La version qui devait assurer à la haute bourgeoisie le monopole et l’exploitation exclusive de l’Inde rend ici un nouveau service en tenant à distance les candidats indiens. Avec tous ses corollaires, elle suppose cinq ou six années d’études qui ne peuvent se faire qu’à Londres. A l’époque décisive de la formation physique et intellectuelle, le jeune Hindou, — peut-être déjà marié et père de famille, — doit aller vivre au milieu de cette grande ville