Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 156.djvu/392

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les travailleurs agricoles, dans les différens districts de l’Inde, pendant les dix années qui séparent le recensement de 1881 et celui de 1891. M. Dadabhai Naoroji trouvait que, pendant l’année 1877-1878, la production totale du Penjab avait été de 35 350 000 livres sterling pour une population de 17 600 000 habitans ce qui donne, par tête, une moyenne de deux livres sterling. Dix ans plus tôt, cette moyenne était de 2 livres, 9 shillings, 5 pence. Pour apprécier combien ces ressources sont infimes, il faut se rappeler qu’en Angleterre, la moyenne du revenu par tête d’habitant est de 33 livres ou 825 francs de notre monnaie. Voici quel était, en 1877, d’après Dadabhai Naoroji, le rapport des dépenses et des recettes pour une famille de quatre personnes. Le budget des dépenses comprenait trois chapitres : 1° nourriture, 2° vêtemens, 3° loyer et autres frais de nécessité absolue. Au chapitre de la nourriture, ni viande, ni vin, rien que du riz, de la farine, des légumes, du thé et, pour l’homme, un peu de tabac. Au chapitre des vêtemens, figurent seulement les habits de travail, rien pour les jours de fête. Au chapitre des frais divers, rien pour le plaisir et l’amusement, rien pour les mariages, les naissances, les enterremens, seules occasions qui puissent entraîner le raïa à quelque dépense. Le total atteignait 34 roupies par personne ou 136 pour toute la famille. Le budget des recettes était de 20 roupies par tête, soit 80 pour la maison entière. La roupie équivalant alors à 2 shillings, ou 2 fr. 50, le budget de cette famille s’établissait ainsi : dépenses, 345 francs, recettes 200 francs, déficit annuel 145 francs.

Les chiffres de M. Bose démontrent malheureusement que la situation a encore empiré. Les salaires n’ont jamais dépassé 4 pence (0 fr. 40) par jour ; ils sont tombés, dans certains districts et dans certaines années, à 1 penny un quart (de 0fr. 11 à 0 fr. 12) ; M. Bose évalue le gain annuel du raïa à 33 shillings.

Sur ces 33 shillings, l’Etat en prend 5. C’est avec les 5 shillings extorqués à ce misérable affamé que s’alimentent les traitemens énormes du vice-roi, du commandant en chef, du Lord Chief Justice, des membres du Conseil et des fonctionnaires du Civil service. C’est le raïa qui paye leur Champagne, leurs landaus, les dentelles de leurs femmes, les gages de leurs sommeliers musulmans et de leurs valets de chambre hindous. Cet homme qui ne peut nourrir ses enfans nourrit une armée étrangère d’occupation de 75 000 hommes. Dans la dernière année de la Compagnie, les