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à attendre de la loi anglaise, toujours raide et stricte, et qui ne s’humanise qu’après avoir été obéie. Cette loi justifie sa sévérité par une curieuse doctrine légale et économique dont je veux dire deux mots en passant. Elle remonte au gouvernement de lord Cornwallis, et date de l’organisation qui fut alors donnée à la propriété foncière dans le Bengale. Depuis de longs siècles, les Anglais avaient oublié ce socialisme patriarcal qui est, d’ordinaire, la première étape de la vie rurale. C’est pourquoi ils ont commis au Bengale la même faute qu’ils avaient déjà commise en Irlande : ils virent dans le zemindar, chef héréditaire de la communauté villageoise et simple gérant de ses biens, une sorte de seigneur féodal, quasi-propriétaire du sol. Puis ils entrevirent la vérité sans l’accepter franchement. Comme ils ne voulaient pas du communisme local, ils se réfugièrent dans le collectivisme d’Etat. Quelques-uns de leurs théoriciens professent ce principe, que toute terre, dans l’Inde, appartient au gouvernement. En sorte que la redevance annuelle payée par le paysan ne serait pas un impôt, mais un loyer.

Impôt ou loyer, la charge est trop lourde pour ses maigres épaules. Le raïa des territoires anglais ne peut donner à sa terre ni le repos absolu de la jachère, ni le repos relatif des assolemens. Sa charrue ne fait que gratter la surface du sol ; elle ne creuse pas ce sillon profond où le grain va s’enfouir pour chercher les élémens nutritifs des couches inférieures. L’engrais des bestiaux, qui devrait servir à refaire la richesse du terroir, est réservé comme combustible. Les bestiaux eux-mêmes dépérissent, faute de pâturages. L’épizootie en enlève annuellement une quantité évaluée à 7 millions et demi de livres. La race se détériore et s’affaiblit : elle sera bientôt incapable de fournir aucun travail. L’homme et l’animal souffrent du même mal ; ils meurent de faim[1].

Examinez, en effet, le misérable budget du raïa, M. Dadabhai Naoroji l’établissait, il y a plus de vingt ans, en prenant pour base la statistique officielle du Penjab[2] et M. Bose, qui disposait de documens encore plus sûrs et surtout plus étendus, a recommencé le même calcul, il y a quatre ans[3]. Il lui a même été possible de dresser des tableaux indiquant les variations des salaires pour

  1. Ramji, A Tragedy of the Famine. London, 1897.
  2. Dadabhai Naoroji, The Condition of India, Bombay, 1881.
  3. Pramatha Nath Bose, Hindu Civilization.