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Espagne ! écrivait Ancillon, ministre des Affaires étrangères en Prusse, à son représentant à Paris. Les causes n’en sont malheureusement que trop claires ; les suites en sont incalculables. Un roi forcé d’accepter une constitution que ses sujets lui imposent à main armée est dans le fait un roi détrôné, cette constitution fût-elle bonne. La magie du pouvoir et le respect involontaire qu’il doit inspirer s’évanouissent ; l’autorité et l’obéissance sont détruites dans leurs principes. Mieux vaut périr les armes à la main sur les degrés du trône ou abdiquer véritablement que signer du haut du trône sa honte et son impuissance et jurer qu’on se voue à l’une et à l’autre.

«… Les fautes multipliées du gouvernement d’Espagne, qui a joint l’ambition à la faiblesse, l’imprévoyance à l’orgueil, et qui a marché dans un sens contraire aux besoins de l’Etat, à ses vrais intérêts et aux principes, qui a provoqué tant de méfiances et de haines sans rien faire pour les contenir, expliquent du reste les malheurs de la monarchie. Mais, ce qu’il y a d’épouvantable, c’est qu’ici comme ailleurs, ce sont des crimes qui ont puni des fautes, et c’est la trahison qui a révélé l’aveuglement de la confiance… La révolution d’Espagne présente, dans ses moyens, la révolte de l’armée ; dans ses principes, la souveraineté du peuple ; dans ses effets, la proclamation d’une constitution qui ne donne ni de pouvoir au roi, ni de garantie à la nation, ni de sûreté aux puissances étrangères[1]. »

Le langage du ministre prussien exprimait fidèlement l’opinion et les inquiétudes des autres cours, celle de France surtout, qui pour elles tiraient leur raison d’être du voisinage de l’Espagne et de ce fait que la couronne y était portée par un prince de la maison de Bourbon. Louis XVIII, aux premières nouvelles arrivées de Madrid, mesurant en toute leur étendue les fautes de Ferdinand VII, causes véritables de la crise, avait eu la pensée de lui envoyer, par un personnage jouissant de sa confiance, ses vœux et ses conseils, Ferdinand paraissant encore maître d’imprimer une impulsion salutaire aux événemens.

Mais ils marchaient si vite, que la prudence et le souci de la sûreté du roi d’Espagne avaient fait ajourner l’exécution de ce dessein. L’agent français désigné pour cette mission, La Tour du Pin, n’avait pu se mettre en route, et, maintenant, il convenait

  1. Documens inédits.