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circuler ses trains. Le comte de Chaudordy prit cette affaire en main ; il obtint de M. Canovas del Castillo, président du Conseil des ministres, une adhésion de principe à la neutralisation de la ligne et fit engager par la compagnie des négociations avec Don Carlos. Don Carlos comprit-il l’importance capitale de la question ? La convention à intervenir impliquait la reconnaissance de sa qualité de belligérant et de son pouvoir de fait sur les provinces du Nord. En renonçant à étendre ses possessions au-delà de l’Ebre, il aurait pu se faire accepter comme souverain de l’Espagne du Nord. La France n’aurait pas élevé d’objections contre une solution qui lui aurait donné pour voisin, sur sa frontière du sud-ouest, un État partagé en deux, au lieu d’une puissance unique. Au lieu de saisir la balle au bond, on perdit du temps à ergoter sur les conditions de la convention. M. Canovas en profita pour revenir sur son adhésion, et la dernière chance des carlistes fut perdue.

Comme la peau de chagrin de Balzac, les domaines de Don Carlos se rétrécissaient à vue d’œil. L’Aragon et la Catalogne étaient perdus. La Seo de Urgel avait été emportée par les alphonsistes. Don Carlos ne se maintenait plus que dans le Guipuzcoa et une partie de la Navarre. Ses troupes avaient éprouvé une série d’échecs dont il avait rendu leurs chefs responsables. Les généraux carlistes passaient du commandement à la prison. Les rangs des fidèles s’éclaircissaient ; la défection retentissante de Cabrera en avait entraîné d’autres. Les subsides de l’étranger tarissaient. Les provinces basques étaient lasses de porter tout le fardeau de la guerre. Leurs députations réunies à Durango avaient signifié à Don Carlos qu’il n’eût plus à compter sur les ressources d’un pays épuisé. Les jours de la domination carliste étaient comptés.

Au mois de février 4870, toutes les forces dont pouvait disposer le roi Alphonse étaient concentrées dans les provinces du nord, prêtes à tenter un suprême effort contre les carlistes. Le général Moriones, commandant en chef, prit une vigoureuse offensive et s’empara successivement d’Estella et de Tolosa. Les carlistes furent rejetés en désordre vers la frontière française. Jaloux de leur donner le dernier coup, le général Martine/Gampos, qui commandait l’aile gauche de l’armée, fit poser les sacs à ses soldats et, franchissant les passages les plus ardus de la montagne, par une marche extraordinaire d’audace et de rapidité, vint