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Biarritz. Il avait la plus belle figure et le port le plus majestueux qui se puissent voir. Son accueil était des plus gracieux et sa conversation des plus intéressantes. Mais il avait la faiblesse de ne pas convenir de son infirmité. Adroitement renseigné par son entourage, il s’extasiait sur les beautés d’un paysage, d’un coucher de soleil. La princesse Frédérique, sa fidèle Antigone, eut la malencontreuse fantaisie d’aller faire une excursion à Tolosa, en pays carliste. Mal lui en prit, car les carlistes se montrèrent grossiers pour elle et pour sa suite.

Nous faillîmes avoir une visite royale plus piquante, celle de la reine Isabelle. La reine aurait voulu rentrer en Espagne. Les ministres de son fils s’opposèrent à sa rentrée, qu’ils trouvaient prématurée. Elle en fut piquée au vif. Don Carlos profita de la circonstance pour lui offrir de venir s’installer à Zarauz, sa station préférée, l’assurant qu’elle y serait reçue avec tous les honneurs qui lui étaient dus. La reine parut un instant tentée d’accepter, pour faire pièce à son fils, et déjà Don Carlos avait envoyé à la frontière ses équipages pour l’attendre. Mieux inspirée, elle déclina l’invitation. Mais il fallait voir, en attendant, l’agitation du consul général et de tout le personnel à ses ordres, l’anxiété avec laquelle ils épiaient l’arrivée des express de Paris et leur émoi lorsqu’ils voyaient une grosse dame descendre de wagon.

Le duc de Parme, neveu du comte de Chambord et beau-frère de Don Carlos, s’était fixé à Biarritz avec sa nombreuse famille. Don Carlos lui avait donné un régiment, qu’il ne commanda jamais. Une fois ou deux, il alla faire dans les États carlistes des excursions, sur lesquelles nous fermions les yeux.

Le comte de Caserte, frère du roi de Naples, et le comte de Bardi, frère du duc de Parme, traversaient quelquefois l’arrondissement. Comme ils servaient dans l’armée carliste, on me donnait officiellement l’ordre de les arrêter. Mais il ne m’était pas difficile de lire entre les lignes que le gouvernement me saurait très mauvais gré de lui créer des embarras avec les légitimistes de l’Assemblée nationale, en prenant cet ordre à la lettre. Don Juan de Bourbon, père de Don Carlos, eut la maladresse de se faire arrêter à Béhobie. Je l’envoyai à Paris sur parole. Il avait quelque velléité de s’arrêter quelques heures à Pau chez sa belle-fille. Je l’en dissuadai. Peu de jours après, la princesse Marguerite (ses féaux la nommaient la Reine) me fit remercier de ma conduite vis-à-vis de Don Juan. Et, comme je ne comprenais pas bien de quoi