Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 156.djvu/182

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

régime qui s’était imposé à l’Espagne et qui paraissait si mal disposé pour nous. Il n’avait rien à perdre à la chute du maréchal Serrano. Le duc Decazes, alors ministre des Affaires étrangères, avait longtemps résidé en Espagne. Lié de longue date avec l’ancien personnel du gouvernement de la reine, il entra sans peine dans les intérêts du prince Alphonse. Le maréchal de Mac-Mahon éprouvait les mêmes sympathies. Dès l’instant où la question se posait entre le maintien au pouvoir du maréchal Serrano et la restauration alphonsiste, les préférences du gouvernement français ne pouvaient manquer d’aller à la solution monarchique.

Sur ces entrefaites, les gouvernemens européens qui avaient reconnu le maréchal Serrano accréditèrent des envoyés auprès de lui. Le gouvernement français désigna pour l’ambassade de Madrid le comte de Chaudordy, membre de l’Assemblée nationale et ambassadeur à Berne, un de nos diplomates les plus estimés. Lorsque M. de Chaudordy alla prendre ses instructions au quai d’Orsay, le ministre lui recommanda de favoriser autant qu’il le pourrait la restauration qui se préparait. Il lui ménagea même, dans son propre cabinet, une entrevue avec le jeune prétendant. Et quand l’ambassadeur prit congé du Président de la République, le dernier mot du maréchal fut : « C’est entendu, n’est-ce pas ? Vous ferez le roi, si vous pouvez. »

Le comte de Chaudordy quitta Paris dans les premiers jours d’octobre pour rejoindre son poste. A cette époque, le voyage de Paris à Madrid ne laissait pas que d’être assez incommode. La circulation des trains sur le chemin de fer du Nord de l’Espagne était interrompue dans les provinces carlistes. On quittait donc le chemin de fer à Bayonne, et l’on s’embarquait dans cette ville ou à Saint-Jean de Luz pour Santander, où on reprenait le chemin de fer pour Madrid. Le comte de Hatzfeld, ministre d’Allemagne, et le comte de Ludolf, ministre d’Autriche, avaient devancé de quelques jours l’ambassadeur de France. Arrivés ensemble, ils avaient présenté leurs lettres de créance le même jour. Afin de combattre l’effet de ce concert apparent, M. de Chaudordy s’arrangea pour voyager avec le ministre d’Angleterre, M. Layard, et pour présenter ses lettres de créance en même temps que lui. Le langage du ministre d’Allemagne avait été des plus élogieux pour le maréchal Serrano ; celui de l’ambassadeur de France ne s’écarta pas des termes d’une stricte correction. Ainsi se dessinaient les