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II

Les divers gouvernemens qui ont eu à lutter en Espagne contre les carlistes ont tous récriminé contre l’appui que les insurgés trouvaient auprès des populations françaises. Tous ont voulu rendre le gouvernement français responsable d’agissemens qu’il lui était impossible d’empêcher. Aucun de ces gouvernemens n’a été aussi âpre dans ses plaintes que celui du maréchal Serrano. Volontiers il eût attribué aux complicités françaises les succès que les carlistes devaient à sa propre impéritie. Il était poussé dans cette voie par des suggestions étrangères.

On se souvient que, vers 1874, M. de Bismarck, trouvant que la France se relevait trop vite de ses désastres, médita une nouvelle agression contre nous. À cette époque, il n’avait pas encore lié partie avec l’Italie. Victor-Emmanuel vivait encore et ne se serait peut-être pas prêté à ses projets. Il songea à l’Espagne pour faire une diversion sur nos frontières méridionales et pour nous obliger à diviser nos forces. Ces visées n’étaient pas nouvelles, d’ailleurs, puisque c’est de la candidature Hohenzollern qu’était née la guerre de 1870. Afin de se ménager ce concours éventuel, le chancelier s’attacha à indisposer le gouvernement espagnol contre nous, en lui persuadant que nous étions ses pires ennemis et que nous favorisions sous-main les carlistes. Des espions prussiens, répandus dans nos départemens pyrénéens, notaient avec soin tous les incidens qui pouvaient être exploités dans ce sens, les dénaturaient, les inventaient au besoin. Un consulat allemand fut créé à Bayonne, bien qu’il n’y existât pas le moindre intérêt allemand, dans l’unique dessein de nous créer des difficultés. En même temps, des officiers allemands exploraient la frontière franco-espagnole, sous des déguisemens divers, relevant avec soin tous les passages et tous les points stratégiques. La présence clandestine du maréchal de Moltke en personne fut même signalée à Tarbes et à Bayonne.

Le gouvernement espagnol, obéissant aux suggestions intéressées de la Prusse, apportait une aigreur croissante dans ses rapports avec la France. Ses récriminations étaient incessantes. Elles aboutirent à un mémorandum, qui fut présenté au gouvernement français, le 4 octobre 1894, par le marquis de la Vega de Armijo, ambassadeur d’Espagne à Paris. Ce document, aussi désagréable dans