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survenus : ce sont les postulats de la vie[1], les points fixes impliqués dans tout mouvement, et qui le fondent. On comprend dès lors qu’une philosophie qui s’applique à retrouver ces postulats n’ait plus à chercher dans des raisons abstraites une inutile garantie ; elle renoncera aux faux semblans que lui présente l’intellectualisme pour s’en tenir aux témoignages multipliés et aux révélations que la réalité lui offre de toutes parts. A cet égard la joie, indice de la paix intérieure, révèle la bonne santé et l’intégrité de l’être. La certitude devient à sa manière une preuve, car il y a dans une certitude simple, candide et radieuse, je ne sais quoi de réel et de complet. Cette certitude ne se distingue guère de la réalité morale : elle en rend, pour ainsi dire, le son plein. Elle est comme le cri de joie de la nature qui s’est enfin réalisée dans l’ordre et assurée en elle-même : elle en marque l’épanouissement et le repos.

On pourrait, je le sais, contester ces conclusions et alléguer que la solidité de la certitude paraît alors dépendre des dispositions de l’âme qui peuvent changer à tout moment sous des influences subtiles et insaisissables. Il n’en est rien pourtant ; nous ne sommes pas ici en présence d’un pressentiment du vrai, ou d’un instinct qui révélerait l’absolu ; car de là à affirmer l’existence même de l’objet de notre croyance, de là à une certitude objective et réfléchie, il y a fort loin. Il s’agit de tout autre chose, et c’est ce qu’il importe de bien entendre : la réalité morale constatée par la conscience, exprimée par la tradition, rendue visible par l’institution sociale, s’affirme de toutes parts et, en quelque sorte, à coups redoublés. Il faut, selon la saisissante image de M. Balfour, se représenter le genre humain tout entier en présence de cette seule réalité, occupé à épeler quelques fragmens de son message. Tous les hommes ont part à son être ; pour nul d’entre eux ses oracles ne sont tout à fait muets. Il n’est donc pas à craindre que le système qui résulte de cette méditation collective tombe par sa propre faiblesse intime, faute de soutien intérieur. Et voilà encore un point où l’accord de la certitude avec la réalité morale est naturellement établi ; pour obtenir cet accord, il n’y a à faire violence ni à la raison ni à l’ordre moral lui-même : il se fait tout seul.

L’auteur de la Morale d’Aristote aime à répéter que seul,

  1. L’expression est de M. Balfour, mais elle s’applique fort bien à la doctrine de M. Ollé-Laprune.