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grand effort de raison et de volonté, l’état de fugitive harmonie qui récompense tout le labeur et qui le glorifie, en permettant à l’homme qui s’y élève d’accomplir en cet instant l’humanité.

C’est cette idée originale de la vie que nous retrouvons au centre de la philosophie de M. Ollé-Laprune et qui en fait l’unité. En effet, pour une nature éprise, comme celle-là, de réalité, l’important était moins d’établir la règle formelle du vrai que de saisir le vrai à l’œuvre, dans la matérialité de son action. La vérité abstraite de la logique et des mathématiques, celle dont on propose un vague critérium, allait rejoindre ces fantômes intellectuels qui n’offrent aucune prise à la pensée. Sans rapport avec les faits, sans forme arrêtée, sans consistance, elle ne pouvait pas le retenir longtemps par ces superficielles clartés. À cette idole de l’entendement la réalité s’opposait avec sa plénitude et son abondance : vrai devenait, par suite, synonyme de réel. Ce vrai, c’est donc par sa fécondité même, par sa répercussion dans l’âme qu’il se révèle : au lieu de s’en tenir à la pâle évocation d’évidences mensongères, il suscite de toutes parts de fécondes énergies. Quelque paradoxale que cette affirmation paraisse, la certitude devient l’indice d’une telle vérité ; elle en manifeste l’intime présence, l’invisible action, ou, plus nettement, elle correspond à un état parfait de la réalité qui s’est développée dans son sens et qui a révolu son cycle ; elle atteste qu’il n’y a plus d’indécision dans sa marche, de lacunes dans son parcours, d’incohérence ou d’inconsistance dans sa trame : elle est la réalité même, non plus divisée ou séparée de soi, mais toute en soi, se reposant dans l’indéfectible possession de son unité. N’a-t-on pas dit du vrai qu’il est à lui-même son signe ? Et quel serait conséquemment le signe d’une réalité complète, toute en soi, en harmonie avec elle-même, sinon la suite dans les effets, la forte cohésion des parties composantes, le sentiment d’un accord intime entre les puissances qui forment son être, la pacification et la joie qui raccompagnent ? Et n’est-ce pas là la certitude en ce qu’elle a d’essentiel et de vital ? Comme la vérité, mais d’une manière autrement décisive, la réalité est à elle-même sa preuve ; dans sa consistance intrinsèque, dans son action pleine et conséquente, dans le paisible et joyeux déroulement de son être, elle trouve tout naturellement une démonstration par le fait : elle établit sa légitimité en marchant. Dans le recueillement et le silence, elle forme comme un noyau solide de convictions qui demeurent intactes en dépit des changemens