Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 156.djvu/150

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

communes qui ne peuvent donner ni une impulsion à la volonté ni un aliment à l’intelligence.

Telle est la pensée que nous trouvons à l’origine de sa théorie de la certitude et qui en explique les hardiesses. Il s’agit d’être hardi devant la raison et devant la science, tant pour récuser ces certitudes partielles qu’on voudrait quelquefois en dériver, que pour aller, par-delà tout établissement intellectuel, jusqu’à l’intelligence et jusqu’à l’âme elle-même, et pour retrouver par une sorte d’expérience vive la source inexplorée des complètes certitudes. Ainsi, de toutes les manières et partout, la pensée se dégage « de l’étroit, du mesquin, du convenu, de l’artificiel, du temporaire, du partiel, du pur abstrait aussi, pour retrouver les vrais principes de consistance et de mouvement et pour rejoindre la vie sous tous les aspects et dans tous les domaines[1]. » Ainsi encore, l’âme, enfin rendue à elle-même, rayonne, et la croyance, au lieu d’être un effet tardif et comme un produit pénible des forces extérieures, se confond avec ce joyeux rayonnement.

Mais, pour enfoncer dans les profondeurs de l’âme et y saisir la certitude à sa source, il importe avant tout de se détacher des formes incomplètes qui en altèrent la pureté. Or, voici d’abord la science avec son cortège d’idées neuves, de méthodes engageantes, de brillantes témérités. On devine aisément l’attitude que devait prendre en face des prétentions du savoir scientifique un esprit comme celui-là, respectueux de toutes les manifestations de la raison, mais épris en même temps d’une certitude complète dont le christianisme suscitait en lui la vivante image, et libéré, par son commerce même avec les réalités morales, de toute tentation d’éblouissement et de vertige. Un tel esprit devait accueillir avec faveur les légitimes exigences du savoir scientifique ; bien plus, dans les aspirations conquérantes des sciences expérimentales, il devait voir comme un signe extérieur de la fécondité de la pensée, et il devait suivre avec sympathie et respect, dans ses alternatives de défaillance et de succès, les démarches de cette infatigable ouvrière qui étend sa domination sur les choses par l’abandon de ses vues particulières et par la soumission de ses idées propres à la logique impersonnelle de la nature. Mais de tout cela, il devait distinguer fermement les prétentions de quelques savans désireux de poser leur doctrine dans une majestueuse

  1. La Vie intellectuelle du catholicisme en France.