Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 156.djvu/114

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de l’imagination les « 40 000 prêtres » que, disait-elle, le tyran allait avoir à son service. Et désormais, mieux instruite, repentante, elle exprima cette pensée qu’on peut adopter sans réserve :

« L’une des principales causes de ce funeste résultat (l’irréligion des Français), c’est que les différens partis ont voulu toujours diriger la religion vers un but politique ; et rien ne dispose moins à la piété que d’employer la religion pour un autre objet qu’elle-même. »


IV

Il fallait compléter la réforme morale par une réforme politique. Les lois ne sont rien sans les mœurs, cela est vrai ; mais les mœurs ont besoin du recours des lois, et de la plus haute de toutes, de celle qui régit l’Etat, de la Constitution.

Aux époques troublées de ce siècle, les mêmes phénomènes reparaissent : quand il règne dans le pays un malaise indéfinissable, quand l’opinion publique et le gouvernement paraissent en désaccord, on s’en prend à la Constitution. La vérité est que, depuis la chute de l’ancien régime, la société moderne n’a pas encore trouvé d’assiette fixe ; le terrible esprit de nouveauté, dont parle Napoléon, ne cesse de parcourir le monde. En 1798, pour la quatrième fois depuis sept ans, la France était en mal de Constitution. Celle de l’an III avait, il faut l’avouer, un grave défaut : elle ne permettait ni au gouvernement de se défendre, ni à l’opposition de vaincre sa résistance ; elle enfermait l’un et l’autre dans une impasse dont personne ne pouvait sortir. « Si la Constitution, disait Barras, eût suffisamment armé le Directoire exécutif du droit de dissoudre la Chambre, nous n’eussions pas été réduits à défendre les lois par la force des armes. » Mme de Staël avait reconnu cette nécessité, mais, loin de s’associer aux rancunes et aux représailles des Jacobins, son esprit généreux s’élevait au-dessus des partis dans l’intérêt de la nation, et, dédaigneux de la basse vengeance, cherchait à dégager des récens événemens une leçon pour l’avenir : « Tant qu’on ne verra jamais dans une crise en France, dit-elle, que le moyen et la nécessité de punir tels ou tels hommes, les crises politiques ne seront jamais que des affaires de parti, qui coûteront beaucoup de sang et de larmes, mais ne feront jamais qu’exciter beaucoup de passions sans offrir aux hommes ce qui seul peut les calmer, un état