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la métaphysique du vague n’est qu’un écart de l’imagination[1]. » Bonaparte aurait souscrit à ces paroles. Il eût assurément moins goûté l’éloge que Mme de Staël fait de l’éloquence. Elle a magnifiquement parlé, dans le livre de la Littérature, de cet art merveilleux qui anime les idées, les transforme en images sensibles et vivantes, en accords harmonieux, qui pénètrent jusqu’aux profondeurs les plus secrètes de l’âme. Mais la première ébauche de ces pages, nous la trouvons dans le livre Des Circonstances actuelles :

« L’éloquence consacrée à la défense des grandes vérités est encore un grand pouvoir en France. Il faut que cette éloquence adopte pour but les résultats du calcul. Mais quelle puissance l’âme, le caractère qui se peint dans les mouvemens oratoires, ne donnent-ils pas à la vérité ! C’est la vie de la pensée que l’éloquence. Elle fait passer les idées dans le sang, elle transforme en impulsion électrique la conviction du raisonnement, l’analyse du devoir, et, ramenant l’homme à sa nature physique, non pour l’avilir, mais pour l’enflammer, elle fait battre son cœur, couler ses larmes, elle lui inspire le courage, la vertu, le dévouement de soi-même comme des mouvemens involontaires qu’aucune réflexion ne pourrait avilir. Heureuse la France, si ces talens vainqueurs reparaissent encore à la tribune ! Qui peut s’élever au sommet de l’éloquence sans parler le langage de la justice et de la pitié ? Le mensonge, la cruauté s’épuisent en froides exaltations qui ne remuent que l’air agité par les gestes et les cris, imitateurs impuissans des sentimens et des idées[2]. »

Créer en France la grande éloquence parlementaire, chasser la phraséologie des clubs et des journaux jacobins, « remettre la vérité dans la langue des sentimens, » tel était le but que Mme de Staël proposait aux efforts des écrivains et des orateurs. Non seulement l’esprit public, mais encore la langue française, jadis si noble et si pure, avaient été trop longtemps empoisonnés par le sans-culottisme révolutionnaire. « D’un bout de l’Europe à l’autre, vous entendrez : Citoyens, le fédéralisme lève sa tête hideuse ; l’anarchie est prête à nous dévorer ; le monstre du royalisme va nous y précipiter ; les aristocrates, ces vampires du peuple, etc., etc. » Etait-ce là ce style « noble, élégant, harmonieux et qui produit en nous la sorte d’ébranlement qu’un beau jour, un air pur, un

  1. Feuillet 206.
  2. Feuillet 205.