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a été tardive et molle, et s’il faut faire, comme toujours, quelques exceptions au profit d’un petit nombre de doctrinaires généreux, le jugement d’ensemble que nous portons sur le parti n’est que trop justifié.

Désormais le sort est jeté. Les Boërs ont confiance ; ils comptent sur la protection divine, qui ne leur a jamais manqué, et il suffit à leurs yeux que leur cause soit juste pour qu’ils la croient déjà victorieuse. Ils ne connaissent que leur histoire, qui peut-être leur donne raison, mais l’histoire générale nous oblige à plus de scepticisme. En tout cas, ils font leur devoir. On ne peut refuser à leur courage ni la sympathie, ni l’estime. S’ils succombent, ils succomberont noblement, et il n’est pas impossible qu’ils soient vengés. Leur chute peut être, en Afrique, le signal de complications que la diplomatie anglaise s’efforce d’écarter, mais qui pourraient bien déjouer toutes les précautions. C’est la politique du partage qu’on s’apprête à y pratiquer, et, si elle ne s’applique pas directement au Transvaal et à l’État libre d’Orange que l’Angleterre se réserve en entier, elle s’appliquera à des pays voisins, c’est-à-dire aux colonies portugaises, car il n’y a pas à se gêner pour les nommer : elles sont dans la pensée de tous. On sait que certains arrangemens ont eu lieu à ce sujet entre l’Allemagne et l’Angleterre, mais qui pourrait dire si, à la longue, chacun sera content de son lot, et s’il n’y a pas là le germe de difficultés futures ? L’Angleterre s’efforce d’isoler l’infortuné Transvaal pour le frapper plus à l’aise et plus sûrement. Elle lui fait l’honneur de le traiter comme un adversaire dangereux, avec lequel il convient de se mesurer seul à seul, à l’abri de toute distraction imprévue. Qui pourrait assurer, cependant, qu’il n’y en aura pas plus tard ? L’entreprise britannique change tout l’équilibre de l’Afrique, et il faudra bien qu’un effort soit fait pour le rétablir. Et enfin, que feront les Afrikanders du Cap ? Il y a là un point très noir. C’est dans une aventure de longue haleine que M. Chamberlain a lancé son pays. Mais, nous l’avouons, les regards risquent de s’égarer en essayant de porter si loin. Restons dans le présent, et voyons les premiers événemens qui vont se produire. La parole, aujourd’hui, n’est plus qu’à la poudre : les Anglais en ont et en auront probablement davantage, mais les Boërs ont prouvé qu’ils savaient merveilleusement s’en servir.


Francis Charmes.
Le Directeur-Gérant,
F. Brunetière.