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principal de la loi de 1884 sur les syndicats professionnels. C’est lui qui en a pris l’initiative, et qui en a dirigé la discussion avec une fermeté de vues et un talent de parole qui n’ont pas peu contribué à lui créer la grande situation parlementaire qu’il n’a cessé de remplir que lorsqu’il l’a voulu, et qu’il a retrouvée aussi dès qu’il l’a voulu. M. Waldeck-Rousseau, en 1884, et la Chambre d’alors, avec lui, étaient très éloignés, sinon tout à fait de prévoir, au moins d’admettre les prétentions excessives que ceux-ci devaient chercher à s’attribuer. On a vu les syndicats sortir peu à peu du rôle qui leur avait été assigné pour en jouer un autre, beaucoup plus considérable, qui devait finalement les poser en face du patron comme une sorte de pouvoir avec lequel il devait négocier et traiter. Nous disons « devait », parce que telle était bien effectivement la pensée des syndicats : ce n’était pas une faculté qu’ils entendaient laisser au patron, mais une obligation qu’ils lui imposaient. Ils n’étaient pas seulement les intermédiaires naturels entre le patron et les ouvriers, — ce qui serait admissible, et ce que M. Waldeck-Rousseau a admis comme une chose parfois utile, — ils étaient les intermédiaires forcés. Dès lors, ils ont poussé leur action dans un double sens : d’une part, ils se sont efforcés d’englober tous les ouvriers en pratiquant sur eux le compelle intrare, c’est-à-dire en les obligeant d’accepter leur tutelle ; et, de l’autre, ils se sont tournés vers le patron, avec la prétention de plus en plus exigeante et arrogante de partager avec lui le pouvoir sur l’usine. On écrira certainement un jour l’histoire des luttes qui se sont produites entre les syndicats toujours envahissans et les patrons qui défendaient leur autorité légitime, parfois même leur propriété. On verra que ce ne sont pas seulement les patrons qui ont résisté à des ambitions exorbitantes ; beaucoup d’ouvriers n’ont pas accepté non plus de s’y soumettre, et se sont obstinés à rester en dehors de syndicats dont ils désapprouvaient et redoutaient l’esprit de combativité et d’agression. Cette histoire sera très intéressante, et nulle autre ne caractérisera mieux l’époque où nous sommes. La sentence de M. Waldeck-Rousseau y tiendra une place importante, car, sur tous les points, elle donne tort aux syndicats, et elle les ramène aux limites précises où la loi de 1884 avait entendu les enfermer.

Ainsi le syndicat du Creusot, à l’exemple de plusieurs autres, a voulu s’imposer à la direction de l’usine comme intermédiaire avec les ouvriers. « Considérant, dit la sentence, que, si les syndicats constituent un intermédiaire qui peut logiquement et utilement intervenir dans les difficultés qui s’élèvent entre patrons et ouvriers, nul ne