Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 155.djvu/944

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

renoncer à ses études, et ouvrir un atelier de couture. Fanny aimait un homme d’une classe sociale supérieure à la sienne, et cet homme, un certain Hugh Skeys, l’aimait aussi : mais il craignait que ses parens et ses amis ne lui sussent mauvais gré de son mariage avec une couturière, et les années se passaient sans qu’il se décidât à tenir la promesse qu’il lui avait faite. Les mois que Mary Wollstonecraft vécut en compagnie de sa chère Fanny n’en furent pas moins les meilleurs de sa vie ; elle achevait son éducation littéraire et morale, elle aidait son amie dans ses travaux d’aiguille, elle avait l’impression d’être libre et de se rendre utile. Mais elle n’était point née pour la tranquillité. Elle reçut un jour une lettre d’une de ses sœurs, Élisa, qui la priait de lui venir en aide ; pour échapper à la tyrannie paternelle, Élisa s’était mariée, et son mari, maintenant, était pour elle un tyran pire encore que son père. Non content de la battre, il la trompait sous ses yeux, de telle sorte que la pauvre Élisa se sentait devenir folle. Mary accourut à son appel. Après un examen impartial de la situation, elle déclara que, en toute justice, l’inconduite du mari avait brisé le lien qui l’unissait à sa femme. Elle engagea sa sœur à se considérer désormais comme libre, sans s’inquiéter d’une loi que son mari, le premier, avait annulée. Elle la détermina à s’enfuir, la tint cachée pendant plusieurs mois, et finit par obtenir du mari qu’il consentît expressément à la séparation.

Avec sa sœur et Fanny Blood, Mary Wollstonecraft ouvrit, dans un faubourg de Londres, une école pour les jeunes filles : elle eut aussitôt vingt élèves, dont quelques-unes pensionnaires ; et de nouveau elle put se croire sur le chemin du bonheur. Mais bientôt Fanny la quitta, pour se marier avec l’homme qu’elle aimait : et à peine Mary s’était-elle résignée à vivre loin d’elle, qu’elle apprit que la jeune femme était mortellement malade. Depuis longtemps déjà les médecins lui avaient déclaré que l’air du Midi pouvait seul lui rendre des forces ; et en effet, sitôt mariée, elle était allée demeurer à Lisbonne ; mais le mariage avait trop tardé, Hugh Skeys avait été trop longtemps retenu par le respect des convenances sociales, et, sous le soleil de Lisbonne, Fanny se mourait. Dès qu’elle l’apprit, Mary Wollstonecraft se mit en route, voulant du moins assister aux derniers momens de son amie. Elle la vit mourir entre ses bras ; à Londres, quand elle y revint, elle trouva l’école à peu près déserte. De nouveau seule au monde, sans ressources, elle eut alors pour la première fois une claire conscience de l’injuste fatalité qui pesait sur elle.

Dans l’automne de 1787, après de longs mois de misère, elle trouva