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rivière. Il y a des éboulis de gros blocs, difficiles à franchir, et qui descendent jusque dans l’eau.

À cinq heures du soir, toujours en suivant la rivière, nous arrivons à hauteur de l’endroit où nous devons camper, et qui porte le nom de Yassi-Koutchouk. C’est une localité parfaitement inhabitée pour le moment et qui ne présente guère de ressources. Mais c’est là que nous devons quitter définitivement la vallée du Kizil-Sou, et il importe d’utiliser encore cette fois l’eau du fleuve pour notre campement. De plus, nous aurons là à discrétion du bois, chose parfois rare dans la région, comme nous l’avons déjà expérimenté les jours précédens.

En ce point, le fond du thalweg s’élargit en une sorte de vaste cirque, d’où la rivière s’échappe ensuite pour entrer dans un fouillis de montagnes inextricables, à travers lesquelles elle roule ses eaux dans une suite de gorges étroites. Cette plaine de Yassi-Koutchouk, qui est évidemment le fond d’un ancien lac, et qui doit même être submergée de temps en temps, lors des crues, est remplie de broussailles et d’arbres formant un vaste fourré marécageux, où la rivière, divisée en plusieurs bras, décrit un parcours incertain. À travers ce fourré, composé principalement de saules, de peupliers et d’arbustes épineux, nous nous frayons, non sans peine, un passage, pendant plus d’une heure, pour tâcher de gagner le bord du fleuve, que nous atteignons enfin à la nuit close. Chemin faisant, nous avons constaté la présence de très nombreux sangliers, ce qui me donne immédiatement l’idée d’établir un affût. Justement nous n’avons pas de viande fraîche et je pense que, le lendemain, un rôti de marcassin varierait avantageusement notre ordinaire.

Nous nous installons pour camper au bord du fleuve, qui coule silencieusement, à pleins bords, encadré de glaçons, au clair de la lune, à travers cette sorte de jungle. Le froid est extrêmement vif. Nous n’avons ni yourte, ni aucun abri. Nous en établissons un tant bien que mal avec le morceau de toile que nous avons emporté, mais il est insuffisant. C’est le cas ou jamais de passer la nuit à l’affût. Après avoir cassé la glace pour faire boire les chevaux, nous allumons un grand feu, car heureusement le combustible ne manque pas, et nous tâchons d’y faire cuire quelque chose. Nous n’avons que du riz, du thé, une queue de mouton, qui constitue notre provision de graisse, et quelques débris de légumes gelés depuis Och. Nous n’avons plus de