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Comme les Olympiens, les mortels dansaient. Les Grecs associaient la danse à toutes les circonstances de leur vie publique ou privée : aux exercices religieux ou guerriers, aux représentations théâtrales, à la célébration des noces ou des funérailles. Le mot danseur (ὀρχησταί) était pris par eux dans l’acception la plus étendue. Il désignait également « les rameurs qui, sur les galères, manœuvrent en cadence, suivant le rythme que leur marque la flûte du triéraulète, les ouvriers de l’arsenal qui travaillent au son des fifres, et l’orateur qui scande ses périodes et ses gestes… Sans tomber dans la rythmomanie des Tyrrhéniens, qui, au dire d’Athénée, pétrissaient le pain, boxaient et fouettaient leurs esclaves en mesure, les Grecs ont fait du rythme une application générale et constante. Ils obéissaient à un instinct de leur race, et leurs philosophes finirent par poser en principe que l’eurythmie, — la perfection dans le rythme et par le rythme, — était la plus précieuse qualité de l’âme. Or, elle s’insinue dans l’âme par le corps ; il n’est donc pas indifférent d’y soumettre les moindres exercices[1]. »

Les Grecs demandaient deux choses à la danse : l’expression et la beauté. Elle était pour eux en quelque sorte la sculpture vivante, comme la sculpture était la danse fixée. Et les deux arts s’imitaient l’un l’autre et se prêtaient réciproquement des modèles. La beauté de la danse devait résider à la fois dans chaque figure isolée et dans l’évolution et l’harmonie mouvante de toutes les figures. Lucien nous a décrit une danse collective ou chorale à laquelle prenaient part les jeunes gens et les jeunes filles : « Tous les danseurs, dit-il, se suivent à la file, de manière à former comme un collier ; un jeune homme mène la danse avec des attitudes martiales, du genre de celles qu’il devra prendre à la guerre ; une jeune fille suit avec grâce, donnant l’exemple à ses compagnes, de façon que le collier est tressé de modestie virginale et de force virile[2]. »

Autant que par les yeux, les Grecs jouissaient de la danse par l’esprit. Ils aimaient en elle non seulement le spectacle, mais le symbole. Aussi n’ont-ils point séparé, comme nous l’avons fait, la danse et la mimique. « Pour eux, l’association des deux arts est étroite, constante. Ils ne voient pas dans la danse un simple prétexte à s’agiter suivant un certain rythme, à prendre

  1. M. Maurice Emmanuel, op. cit.
  2. Cité par M. Croiset, op. cit.