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misérable. La musique en peut être exquise ; l’esprit ou le génie véritable de la danse en est presque toujours absent. Que dire enfin, pour ne plus parler de la danse, mais de l’attitude, du geste, ou seulement de l’aspect extérieur, que dire de ce qu’on nomme en style d’opéra « la figuration ? » Rappelez-vous tant de cortèges guerriers, populaires ou sacrés. Rappelez-vous la représentation plastique d’Orphée, la théorie funèbre autour du tombeau d’Eurydice et, dans les Champs-Elysées, les groupes que forment les ombres heureuses. Mais surtout allez voir à Béziers, en plein air, la Déjanire de M. Saint-Saëns. Là, quand le grand soleil d’août éclairera sans pitié l’anatomie des choristes et des figurans, vous comprendrez que nous ne sommes plus au temps


où le ciel sur la terre
Marchait et respirait dans un peuple de dieux,


et qu’entre la joie de contempler et celle d’entendre, l’équilibre antique s’est rompu.

Il était parfait chez les Grecs. Les Hellènes concevaient autrement que nous la nature et la noblesse de la danse. Ils l’estimaient un art divin. Pindare invoque Apollon danseur et roi de la grâce. Homère, ou l’un de ses imitateurs, dit, dans un hymne au même Dieu : « Apollon, prends ta lyre et joue-nous une mélodie agréable en marchant avec grâce sur la pointe du pied[1]. » Les autres dieux également dansaient. « Zeus, Héra, Déméter, Aphrodite, Ares, Hermès, Athéna, n’ont pas seulement présidé à la danse de leurs suivans : les poètes et les mythologues nous les montrent très disposés à y prendre part en personne. Rien ne révèle plus clairement la dignité attribuée par les Grecs à un art que les plus hautes divinités de l’Olympe honoraient de leurs faveurs. Sur les monumens figurés, les grands dieux jouent volontiers le rôle de conducteurs ou d’accompagnateurs de la danse[2]. » Les dieux secondaires suivaient naturellement l’exemple de leurs supérieurs. Niké (la Victoire) commença par avoir des ailes. Puis les artistes la représentèrent courant ; enfin « ils s’enhardirent jusqu’à la faire sauter[3] » et Phidias sculpta « douze Nikès dansantes pour servir de pieds au trône de son Zeus olympien[4]. »

  1. M. Gevaert.
  2. M. Maurice Emmanuel, op. cit.
  3. Id. ; ibid.
  4. Id. ; ibid.