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une période assez longue et très glorieuse, la musique séparée de la poésie. La survivance du rythme grec dans la musique appelée classique, tel est l’objet d’une doctrine célèbre établie en Allemagne par Westphal. Après avoir subi le contrôle, et obtenu l’adhésion de musiciens éminens, cette doctrine nous a été récemment exposée, — réduite sur quelques points mais approuvée en somme, — par un philologue et psychologue musical fort distingué, M. Combarieu. « Quelques-unes des formes, dit M. Combarieu dans l’avant-propos de son ouvrage, quelques-unes des formes imaginées par les lyriques grecs, après avoir été imitées avec plus ou moins d’adresse par les poètes latins, reparaissent comme une seconde invention originale, chez les maîtres de la musique moderne ; mais, avec Beethoven (dernière manière), avec Schumann, avec Wagner surtout, qui leur a donné le coup de grâce, elles s’altèrent, se brisent, finissent par n’être plus employées que comme exception. » A l’appui de cette thèse, M. Combarieu cite quelques axiomes très caractéristiques, énumérés par Westphal dans sa Théorie générale du rythme depuis J. -S. Bach :

« Dans la musique des anciens et dans celle des modernes, le rythme est un, et Aristoxène est son plus grand théoricien.

« L’allégro de la sonate de Beethoven pour piano (n° 1) se compose d’une strophe, d’une antistrophe et d’une épode à deux parties… Les ressemblances de l’une à l’autre (de la strophe de Beethoven à la strophe de Pindare) sont aussi étroites que possible… et, si nous ne savions que Beethoven a écrit cette œuvre en 1796, on ne serait pas éloigné de croire que le compositeur a eu connaissance de l’édition de Pindare donnée par Boeckh en 1811-1821.

« Celui qui connaît le trimètre ïambique des poètes grecs (mesure inégale à dix-huit temps d’Aristoxène) et son emploi dans les strophes ïambiques d’Eschyle, où il est associé au dimètre ïambique (mesure à douze temps d’Aristoxène), celui-là verra clairement, après quelque travail, que la fugue en ut dièse mineur de J. -S. Bach est comme un miroir où se reflète la strophe ïambique d’Eschyle.

« Que savait Bach de la poésie grecque ? Assurément, il n’a connu ni Eschyle ni Sophocle… S’il a reproduit les mêmes formes que les Grecs, c’est en suivant son instinct, et par un sentiment inné de l’ordre et de la beauté rythmique ; il s’est élevé à ces créations rythmiques spontanément et librement, comme les