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avait le plus d’importance. Autant que les instrumens divers, les divers systèmes d’intervalles affectaient diversement l’esprit et l’âme des anciens. Au point de vue de l’éthos modal, comme de l’éthos instrumental, on pourrait signaler entre le sentiment grec et le nôtre des analogies et des contrariétés. Quelques-unes des finales que les Grecs employaient couramment se retrouvent par exception dans la musique moderne. Un lied célèbre de Schubert conclut sur la dominante, et, bien que très atténuée par une harmonie fondée sur la tonique, cette conclusion nous surprend et nous laisse incertains. Nous disons volontiers des chants qui finissent ainsi qu’ils ne finissent pas. « Aucune terminaison autre que celle de la tonique ne saurait exprimer l’énergie active, la force consciente d’elle-même. Cette terminaison a envahi graduellement la mélodie occidentale. Aristote dirait de notre musique qu’elle est dominée presque exclusivement par le caractère actif. L’accent élégiaque de la terminaison sur la médiante est ressenti non moins spontanément par notre sens musical. Le caractère passif et indéterminé de la terminaison de dominante nous frappe également, mais sans nous charmer beaucoup. Il exprime un parfait équilibre de l’âme, état sentimental que l’esthétique ancienne considère comme se rapprochant le plus de l’idéal, mais dont s’inspire difficilement le génie chrétien moderne[1]. » Conformes sur quelques points de l’éthos modal, le goût ancien et le nôtre ne s’accordent pas sur tous. L’antinomie la plus profonde, et qui fait oublier les analogies particulières, consiste en ce que M. Gevaert a très bien défini l’interversion des rapports entre le majeur et le mineur. Dans la musique moderne, le mode majeur domine ; au contraire, le mode favori de la Grèce, le plus purement grec, était le dorien, lequel est notre mineur, sauf la note sensible évitée. C’est le mode du Dies iræ ; c’est également celui des deux premières mesures de la chanson de la Marguerite de Gounod : Il était un roi de Thulé. Et non seulement ce mode à peu près — à très peu près — mineur était le plus répandu ; il était aussi par excellence le mode « viril, grandiose et même joyeux[2]. » Ici, pour le coup, nous cessons de comprendre, ou plutôt nous cesserions, si nous ne nous souvenions, avec M. Gevaert et d’après lui, d’abord que le majeur antique « a des particularités harmoniques qui lui donnent une couleur distincte du nôtre, et que,

  1. M. Gevaert.
  2. Ib.