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tant dans les départemens que dans l’armée, les serviteurs dévoués. Qu’on ne s’y trompe plus, l’union ne peut plus exister ; l’oubli est impossible comme il l’a toujours été. Cette malheureuse catastrophe a fait voir les progrès que la révolution a faits, depuis un an, dans les régimens. Si notre parti peut contribuer à changer le système, qu’il emploie tous ses moyens pour agir. Il n’y a pas un moment à perdre, et si, de suite, on ne porte pas le coup, tout est perdu.

« Le soldat est encore bon ; la majeure partie des sous-officiers est encore machine et agira comme le voudront les chefs. Plusieurs officiers sont déjà très mauvais ; du reste, ils sont encore la minorité. Mais, avant six mois, on ne pourra peut-être plus en dire autant. Dans cette ville, il y a des gueux exécrables, mais, les gens bien pensans sont en si grand nombre qu’il serait bien facile de les exterminer s’il y avait un mouvement. »

Une autre lettre, expédiée de Paris à Nice et signée d’un des noms les plus marquans du parti royaliste, complète cette description du trouble effroyable qui règne de toutes parts. « Nous sommes dans une horrible crise ; le ciel seul sait ce qui va arriver ; toutes les têtes sont en fermentation ; d’un jour, d’un monument de douleur, on veut faire un monument de haine. Le nom de M. Decazes est dans toutes les bouches, et on le maudit comme complice de l’assassinat de M. le Duc de Berry. M. de Chateaubriand monte tous les esprits, bouleverse toutes les têtes, et il paraît à peu près sûr que toutes les lois vont être rejetées… M. Molé, qui croit que ceci peut le faire ministre, remue ciel et terre pour faire des voix contre le roi… On est obligé de consigner les gardes du corps et la garde royale, qui sont dans la rage ;… enfin, on ne sait que penser, que croire, qu’attendre, et si l’on ne se mourait de douleur, on pourrait expirer d’effroi… Ah ! mon cher, quel pays, quel malheur d’y être né et d’y attendre la mort ! Et laquelle ? »

On peut mesurer à ces traits les implacables haines qui poursuivaient Decazes à son départ de Paris. Il en avait déjà recueilli le témoignage dans l’attitude de la minorité ultra-royaliste de la Chambre. Après avoir repoussé comme l’extravagance d’un fou la proposition Clausel de Coussergues, cette minorité semblait maintenant disposée à l’utiliser pour consommer la perte de Decazes en le mettant en accusation et en obligeant le roi à lui retirer l’ambassade de Londres avant même qu’il eût pu s’y rendre.