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début à la fin de la correspondance, c’est elle que nous voyons au premier plan, infatigable à renseigner son « petit frère, » à le divertir, et à le consoler. Et si, à l’origine, la pitié est l’unique sentiment qui la fait agir, nous sentons que peu à peu un autre sentiment naît et grandit en elle. Sans cesse ses lettres sont plus familières, plus intimes, plus tendres. Et ce sont tous les jours des attentions discrètes et touchantes, des flatteries, souvent des plaintes cachées sous des sourires, mille petits témoignages d’un amour que la jeune femme n’ose point s’avouer à elle-même, mais qui, profondément, prend possession de son cœur. « Je vais, en attendant, causer avec mon petit frère, quoique vous m’appeliez citoyenne gros comme le bras !… Mais comment pouvez-vous me dire : Quand vous me laissez en prison ! moi qui souffre tant de vous y savoir ? Ah ! cela me pénètre jusqu’au fond de lame ! » Et elle ajoute, timidement : « Oui, je crois deviner les nouvelles raisons qui vous font désirer votre sortie ! »

Elle lui écrit cela au sortir de la première visite qu’elle a enfin obtenu la permission de lui faire. Et c’est depuis ce jour que le ton de ses lettres commence à changer, et que Castellane devient vraiment le seul objet de toutes ses pensées. « Mon Dieu, cher petit frère, que ces deux jours m’ont paru longs ! Quel supplice de ne pas se voir quand surtout on en a contracté la douce habitude ! Mais demain nous nous verrons ! » Elle lui écrit deux, trois fois par jour ; au sortir du Comité, elle court au Plessis, s’ingénie à toute sorte de prévenances pour le concierge et sa femme, guette fiévreusement une occasion de revoir son ami. Souvent l’occasion manque, et Clémentine, désespérée, écrit encore un billet avant de quitter la prison : « Tout à l’heure, lui dit-elle, la 5e sans-culottide, j’avais oublié d’apporter mon petit écritoire ; et il y avait tant de monde au greffe que c’est avec peine que j’ai pu obtenir une plume les deux premières fois. J’en aurais bien fait acheter une ; mais les fiacres, qui ne sont nullement complaisans, ne veulent pas attendre. » Une autre fois elle lui dit : « Je n’ai pas pu vous écrire dans la cour. Ma santé a été si mauvaise toute la journée qu’il m’était impossible et de marcher longtemps et de me tenir debout sans me trouver mal. Ajoutez à cela que j’étais habillée en linon blanc, costume peu propre à s’asseoir à terre, comme cela m’est arrivé plusieurs fois pour vous écrire. »

Et, à mesure qu’elle s’attache plus passionnément à Castellane,