Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 155.djvu/651

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et qu’il fera bien, à la prochaine occasion, de le renvoyer à Tachkent en en demandant un autre. Mon pronostic paraît le chagriner : il me demande si, provisoirement, il peut continuer à se servir de l’appareil et à l’observer trois fois par jour, en attendant cet envoi. Je lui réponds que, pour ma part, je n’y vois aucun inconvénient. Sur quoi, il remet philosophiquement l’instrument à son clou, où je le soupçonne d’être encore.

Lundi 3 novembre. — Nous partons d’Irkechtam à huit heures du matin, après avoir pris congé de nos hôtes. Les chevaux sont reposés. Le temps est froid, sec et superbe. La route est commode : il n’y a qu’à suivre la rivière. Nous la franchissons à gué, sans difficulté, à l’endroit qu’on nous a indiqué, c’est-à-dire à 2 kilomètres en aval du poste, pour longer ensuite la rive gauche.

Tout près de là, à 3 kilomètres du fort, nous passons la frontière, qu’aucun signe extérieur ne marque, mais dont nous connaissons à l’avance la situation. Devant nous, c’est la Chine, et c’est la partie la plus reculée et la moins connue de l’Empire chinois. Nous sommes exactement au sommet du grand triangle, contenant 300 millions d’hommes, de tous temps en dehors ‘de nos civilisations et de nos croyances européennes, qui a sa base sur le littoral du Pacifique, et qui s’enfonce comme un coin au centre du vieux continent, entre l’Himalaya et les monts Célestes, entre l’Inde, domaine de la race aryenne, et la Sibérie ou les steppes, domaine des races touraniennes.

Ici nous intercalons une remarque postérieure à la rédaction de nos notes sur le terrain, car aujourd’hui la situation politique n’est plus la même qu’alors. La Chine, à la suite du coup de foudre de la guerre japonaise, a dû, bon gré, mal gré, pactiser avec la civilisation occidentale, et s’est ouverte. Il n’en était pas encore de même à l’époque de notre voyage.

La Chine, à ce moment-là, c’était encore, surtout dans ses parties reculées comme celle dont il s’agit ici, le pays mystérieux et impénétrable, sinon menaçant. C’était la grande énigme dans la géographie politique de l’avenir.

À ce moment-là, et même bien plus tard encore, jusqu’en 1895, les journaux d’Occident — on s’en souvient peut-être encore dans notre pays où les préoccupations politiques et autres n’ont que la durée d’un jour, — agitaient périodiquement la question du péril jaune. Ils se demandaient, de temps en temps, avec