Et l’on s’est aperçu qu’en voulant finir l’ébauche, on l’avait refroidie. Delà le mépris du fini et du travail : c’est que l’on ignore ce qu’ils doivent être, ou que l’on manque de courage et de persévérance dans leur poursuite. Or ce n’est que par le fini que l’on peut faire pressentir l’infini. Évidemment je ne parle pas de ce fini qui consiste à perler et à multiplier les détails. Tout détail qui n’est pas nécessaire à l’expression du sujet l’affaiblit. Toute complication exagérée détruit l’émotion. Loin de compliquer ce que la pochade donne du sujet on est souvent forcé de le simplifier sur le tableau. Il faut aussi insister sur les accens expressifs, les expliquer (ils ne sont dans l’esquisse qu’à l’état embryonnaire) et il faut en même temps les rendre plus vivans. Il faut finir en intensité.
Quel travail de surveillance pour éviter cette uniformité fastidieuse où tombe toujours un fini qui n’a pas été conduit par une science profonde ! Finir une œuvre c’est en tirer toute l’essence expressive, en l’unifiant, tout en la variant dans ses diverses parties.
Que l’œil puisse la parcourir et la suivre dans sa grande liberté d’allure sans être forcé à des arrêts fâcheux. Un tableau fini doit être ramené, par les accens principaux dominant les détails, aux deux ou trois traits de fusain que l’artiste a d’abord jetés sur la toile blanche, débarrassés de tout ce qui ne contribue pas à la rayonnante clarté et à cette variété d’inflexion qui est la vie même. En peinture comme dans tous les arts, la forme a une importance majeure, car elle fait corps avec la pensée. Plus la pensée s’élève, moins elle est frappée par l’apparence grossière et matérielle, plus elle saisit le sens éternel et secret, plus elle s’approche de la lumière divine, et plus elle serre de près la vérité.
JULES BRETON.