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C’est surtout par les soleils couchans et au réveil de l’aurore que cette vérité éclate.

Il est une heure du soir qui pénètre l’âme délicieusement et l’exalte par son intensité magnifique. C’est quand le soleil va s’endormir. Tandis qu’il allume d’un feu sombre, et sans presque les éclairer, les objets terrestres, à travers l’horizontale étendue des vapeurs embrasées, ses rayons verticaux par rapport au zénith jettent encore à cette partie du ciel une entière clarté couleur d’améthyste. L’astre, avant de s’éteindre, envoie à la voûte céleste tout son éclat lumineux, laissant encore à la terre le chatoiement de toutes ses richesses colorantes. Presque plus d’ombre, mais des traînées d’azur aux bas-fonds où la flamme ne peut plus dorer le sol. La puissance du reflet égale presque celle de la lumière directe des rayons roses près de s’éteindre. C’est adorable. Tout vibre d’amour dans ce sublime accord du ciel et du feu pour imprégner la terre de leur divine magie. Par la froideur des effluves verts, bleus et violets, épandus de la voûte, c’est un embrasement vermeil qui frémit comme un brasier dans l’eau. C’est l’association étroite de tous les tons les plus opposés ; et l’air les accorde si bien que, tout au charme de cette harmonie, on s’aperçoit à peine de la violence des contrastes qui émerveillent les regards de leur symphonie glorieuse.

Et la même magie, ô peintre, si tu ne sors pas de la gamme logique, transfigurera sur la toile les couleurs qui auront laissé à la palette leur inexpressive crudité, pour prendre l’éclat mystérieux de la vie. C’est mauvais signe lorsque les couleurs appliquées au tableau qui doit les transformer, restent les mêmes que sur la palette.

Les tons chantent rien que par leur juste opposition et ceux qui détonnent au contraire, auront beau être pointillés, sabrés de hachures, glacés et tripotés, ils n’arriveront jamais à illuminer la vie.

Quelle belle recherche que celle des colorations et des vibrations de la lumière ! Mais elle ne suffit pas. La forme aura toujours la prééminence. D’ailleurs elle est plus durable. Ceux qui ne pensent qu’aux exquisités de nuances (et souvent quelles exquisités !) se préparent d’amères déceptions pour peu qu’ils vivent. Que restera-t-il sur leurs toiles informes dans cinquante ans ? Heureusement à côté d’eux quelques vaillans de l’école moderne se préoccupent aussi d’exprimer la vie, non seulement par les