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temps où il semble qu’ils étaient attendus. S’ils s’étaient moins pressés de venir, ils arrivaient trop tard ; et j’ose douter qu’ils fussent tels aujourd’hui qu’ils ont été alors. Les conversations légères, les cercles, la fine plaisanterie, les lettres enjouées et familières, les petites parties où l’on était admis seulement avec de l’esprit, tout a disparu. » Il y avait eu un moment unique, gracieux et rapide comme un verger en fleurs, et que l’esprit français retrouvé n’a plus qu’au XVIIIe siècle. Le souvenir en était resté si vif que Saint-Simon écrivait cent ans après : « L’hôtel de Rambouillet était alors le rendez-vous de tout ce qui avait le plus d’esprit et de connaissance, et un tribunal de jugement redoutable au monde et à la Cour[1]. »

On n’y boudait pas les plaisirs mondains. La jeunesse faisait son métier de jeunesse, dansait pour l’amour du mouvement, riait pour rire, se déguisait en personnages de l’Astrée ou en « petits métiers de Paris, » organisait des parties de campagne et jouait aux invités des tours de collégiens en vacances. Un soir, au château de Rambouillet, le comte de Guiche avait mangé force champignons. On fit rétrécir ses habits pendant la nuit. Le matin, impossible de s’habiller. L’inquiétude le prit : — « Suis-je enflé ? Serait-ce d’avoir mangé trop de champignons ? » Un compère répondait : — « Cela pourrait bien être… Vous en mangeâtes hier au soir à crever. » Il se regardait dans les glaces, se trouvait livide… Il fallut cesser la plaisanterie, qui devenait cruelle. Mme de Rambouillet elle-même inventait des surprises, mais elles étaient plus galantes. Un jour, — c’était encore au château de Rambouillet, — elle proposa à l’évêque de Lisieux de s’aller promener dans une certaine prairie où se trouvait un cercle de rochers naturels et de grands arbres. L’évêque accepta : — « Quand il fut assez près de ces roches pour entrevoir à travers les feuilles des arbres, il aperçut en divers endroits je ne sais quoi de brillant. Etant plus proche, il lui sembla qu’il discernait des femmes, et qu’elles étaient vêtues en nymphes. La marquise, au commencement, ne faisait pas semblant de rien voir de ce qu’il voyait. Enfin, étant parvenus jusques aux roches, ils trouvèrent Mlle de Rambouillet et toutes les demoiselles de la maison, vêtues effectivement en nymphes, qui, assises sur les roches, faisaient le plus agréable spectacle du monde. Le bonhomme en fut si charmé que

  1. Écrits inédits, éd. Faugère (Hachette).