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coreligionnaire[1]. — On sait que les réunions de lettrés d’où est sortie l’Académie française se tenaient chez Conrart. L’Académie ne pouvait pas avoir un berceau plus honorable. Il y a plaisir à considérer cet intérieur de bourgeois à l’aise et indépendant, hospitalier avec simplicité, ne demandant rien à personne et ayant facilement la main ouverte. Sa femme était une excellente et digne créature, qui ne croyait pas qu’on dût faire des embarras parce qu’on recevait à dîner des duchesses et des marquises. Elle n’avait d’amour-propre que pour ses liqueurs de ménage, ses pastilles et autres friandises, dont elle faisait des présens aux amis de son mari.

Vaugelas était un timide et un naïf, qui n’avait eu que de mauvaises chances dans la vie. Il s’était attaché à Gaston, y avait perdu sans compensation sa pension du roi, et s’était endetté à n’en plus jamais sortir. Mme de Carignan l’avait pris pour être gouverneur de ses deux fils : il se trouva que l’un était sourd-muet, l’autre bègue. L’hôtel de Rambouillet essaya de le mettre en relief et y échoua ; c’était un écouteur obstiné, qu’il était impossible de sortir de sa grammaire et qui ne pensait qu’à attraper au vol les tours de phrase des « gens de qualité » ; bref, une non-valeur pour un salon. J’ai bien peur qu’il n’en faille dire autant de Corneille, qui ne fut pas brillant, le sentit et cessa de venir, sauf les jours où il lisait ses pièces. Ce ne sont pas toujours les grands génies qui font le mieux dans les salons ; Corneille dans le monde était toujours « le bonhomme Corneille, » marguillier de sa paroisse de Rouen, et pas amusant, de l’aveu de La Bruyère : — « Un autre est simple, timide, d’une ennuyeuse conversation ; il prend un mot pour un autre, et il ne juge de la bonté de sa pièce que par l’argent qui lui en revient ; il ne sait pas la réciter, ni lire son écriture. » Pour un cercle de jolies femmes, dix Corneille ne vaudront jamais un Antoine Godeau, minuscule dans ses vers comme dans su personne, mais toujours en verve et toujours amoureux : « Quand il était en philosophie, tous les Allemands de sa pension ne pouvaient vivre sans lui ; il chantait, il rimait, il buvait, et avait toujours le mot pour rire. Il était fort enclin à l’amour, et comme il était naturellement volage, il a aimé en plusieurs lieux[2]. » Présenté tout jeune « au rond, » il fit pâlir l’étoile de Voiture, à qui Mlle de Rambouillet eut la cruauté

  1. Valentin Conrart, par MM. René Kerviler et Ed. de Barthélémy.
  2. Tallemant.