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se jette sur les premiers qu’il rencontre, et à coups d’épée, à coups de pistolet, en blesse deux mortellement. En Anjou, le comte de Montsoreau fabrique de la fausse monnaie dans les bois, rançonne les voyageurs, pille et tyrannise les campagnes, à la tête de vingt brigands de son espèce. A Paris même, le duc d’Angoulême, bâtard de Charles IX, est aussi faux monnayeur, et il envoie ses gens se payer de leurs gages dans la rue, en détroussant les passans.

Les duels entretenaient le mépris de la vie humaine. A trente ans, le chevalier d’Andrieux avait déjà tué en (duel soixante-douze hommes. Les édits n’y faisaient rien ; il fallait que le changement vînt des mœurs. Neuf ans après la mort de Louis XIII, le maréchal de Gramont disait dans une de ses lettres : « De compte fait, il y a, depuis la régence, neuf cent quarante gentilshommes tués en duel. » C’était le chiffre officiel, « sans compter ceux dont la mort fut attribuée à d’autres causes, bien qu’ils eussent réellement péri dans des rencontres[1]. »

On n’y mettait pas les mêmes cérémonies et les mêmes précautions que de nos jours. Un duel était un combat de sauvages, où l’on se frappait n’importe comment et avec n’importe quoi, tous les moyens étant jugés bons, quoique plus ou moins « courtois, » pour « bien tuer. » En 1612, Balagny et Puymorin descendirent de cheval et tirèrent l’épée dans la rue des Petits-Champs. Pendant qu’ils se battaient, un valet blessa Balagny par derrière d’un coup de fourche, dont il mourut. Puymorin était déjà blessé, et mourut aussi. Ce fut encore un laquais qui tua Villepreau traîtreusement, pour le compte de Saint-Germain Beaupré, dans le duel qu’ils eurent ensemble rue Saint-Antoine. Le jeune Louvigny[2], se battant avec d’Hocquincourt, lui dit : « Otons nos éperons, — et comme l’autre se fut baissé, il lui donna un grand coup d’épée qui passait d’outre en outre et le mit à la mort. » Tallemant des Réaux qualifie cette action d’ « épouvantable ; » cependant elle n’eut pas de suites pour Louvigny. Le maréchal de Marillac, qui fut décapité en 1632, tua son adversaire « avant que l’autre eût eu le loisir de mettre l’épée à la main[3]. » Nous appellerions cela des assassinats. Nos pères n’y voyaient point de mal ; ils ne méprisaient que les pacifiques.

  1. Vicomte d’Avenel. Richelieu et la monarchie absolue.
  2. Tué en duel, en 1629, à un peu plus de vingt ans.
  3. Tallemant.