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On brisa vitre, on rompit porte…
Bref, si fort s’accrut le tumulte,
Que, de peur de plus grande insulte,
Cette dame s’enfuit exprès
Et se sauva par les marais[1].


Les hommes ne se gênaient pas pour riposter ; au besoin, ils commençaient. Le comte de Brégis, ayant reçu un soufflet de sa danseuse, la décoiffa au milieu du bal. A un souper, le marquis de la Case saisit un gigot et en frappa sa voisine au visage, la couvrant de jus ; elle, bonne personne, « en rit de tout son cœur[2]. » Malherbe avouait à Mme de Rambouillet avoir souffleté jusqu’à la faire crier au secours la vicomtesse d’Auchy, dont il était jaloux. Battre sa femme était chose qui s’avouait.

Les plaisanteries ignobles, les saletés qu’il est impossible de raconter, étaient acceptées par les deux sexes. Le père du grand Condé, présidant à un jeu de société où la règle obligeait les autres joueurs à faire tout ce qu’il faisait, mangea le premier et fit manger à l’assistance — je n’ose dire quoi, et n’essayez pas de deviner, vous ne le pourriez pas. Louis XIII, le timide et pudique Louis XIII, ne laissait pas, quand il s’y mettait, de donner à sa Cour des exemples peu ragoûtans. On lit dans un livre d’édification de 1658 que le feu roi, ayant remarqué dans la foule admise à le voir dîner une demoiselle assez décolletée, « la dernière fois qu’il but, il retint une gorgée de vin en la bouche, qu’il lança dans le sein découvert de cette demoiselle[3]. »

La tradition aristocratique exigeait qu’on battît les inférieurs au moindre manquement de leur part. Richelieu rossait ses gens, il rossait les officiers de sa garde, il rossait, disait-on, ses ministres. Le célèbre duc d’Epernon, le dernier des grands seigneurs d’après Saint-Simon, discutant un jour avec l’archevêque de Bordeaux, lui « bailla trois coups de poing » dans la figure et la poitrine, et « lui donnant plusieurs fois du bout de son bâton dans l’estomac, lui dit que sans le respect de son caractère, il le renverserait sur le carreau[4]. » En Bourgogne, le marquis de Maulny, outré de ce que des paysans avaient fait attendre du beurre et des œufs à ses gens, sort de chez lui comme un furieux,

  1. Gazette de Loret, lettre du 13 août 1651.
  2. Tallemant.
  3. Lettres de Pauline et d’Alexis à diverses personnes, pour des sujets bien importuns, par le P. Barry.
  4. Mémoires de Richelieu.