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consommé la transformation de mœurs qu’il avait préparée au mieux de ses forces. Elles ont tenu pendant un demi-siècle école de politesse et de beau langage, faisant accepter leur férule par des personnes aussi indociles à l’ordinaire que la princesse dont j’ai entrepris de raconter l’histoire. Elles n’ont pas essayé, bien loin de là, de redresser ce qui avait été faussé dans l’esprit français et de ramener le goût public dans la bonne route ; elles ont, au contraire, beaucoup poussé la France vers le tortillé et l’alambiqué.

Tout compte fait, leur influence a néanmoins été bienfaisante dans l’ensemble. La Grande Mademoiselle, aux allures brusques et cavalières, a dû à l’hôtel de Rambouillet de ne pas avoir été un mousquetaire en jupon. Elle avouait si volontiers la reconnaissance qu’elle lui devait qu’un biographe doit tâcher de l’aider à payer sa dette.


III

On s’est demandé[1] s’il fallait faire une part à l’influence de l’Astrée « dans la formation de la société précieuse. » Je le crois, avec cette réserve, déjà indiquée, que d’Urfé n’a pas eu la prétention de créer de nouveaux courans d’idées et de sentimens ; il s’est borné à observer ceux qui se dessinaient au fond des âmes et à s’en faire l’apôtre, se sentant avec eux en complète harmonie. L’esprit de société serait né sans lui ; il commençait de naître alors que parurent les premiers volumes de l’Astrée. Son essor aurait été moins rapide si d’Urfé n’avait pas écrit.

Il a passé longtemps pour spirituel de se moquer des Précieuses. Maintenant que ce plaisir trop facile s’est émoussé par l’abus, il y a plus d’originalité à leur rendre justice : — « On n’a généralement retenu d’elles, dit M. Brunetière, que le souvenir de leurs ridicules, et il faut avouer qu’elles en ont eu beaucoup… Ce qu’on pourrait surtout leur reprocher, ce serait d’avoir remis la littérature française à l’école de l’Espagne et de l’Italie… supposé du moins qu’elles eussent pu l’éviter, dans une cour tout italienne, et dans un temps où l’influence espagnole rentrait chez nous par toutes nos frontières. Mais elles nous ont, après cela, rendu de grands services, et des services qu’on ne saurait oublier,

  1. M. F. Brunetière, Manuel de l’Histoire de la littérature française.