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Châteaumorand, avec laquelle il n’avait pas été heureux ; la cour du grand Enric, c’était la cour d’Henri IV ; Galatée, la reine Marguerite ; et ainsi de suite. — « Toutes les histoires de l’Astrée ont un fondement véritable, écrivait Patru, qui le tenait de la bouche d’Honoré d’Urfé ; mais l’auteur les a toutes romancées, si j’ose user de ce mot. « L’attrait d’une pointe de scandale venant s’ajouter au reste, le livre fut traduit en la plupart des langues et dévoré par tout pays avec la même passion. Il se fonda en Allemagne une Académie des vrais amans, copiée sur celle du Lignon. En Pologne, et dans la seconde moitié du siècle, Jean Sobieski, le contraire d’un héros musqué, jouait avec Marie d’Arquien à être Astrée et Céladon, et lui écrivait après leur mariage : « Foin de ces amours matrimoniales qui se convertissent en amitié au bout de trois mois… Céladon je suis, comme par le passé, amant passionné comme au premier jour[1]. »

Lorsque enfin l’engouement de la foule eut passé, le livre conserva l’admiration des délicats et, par elle, son influence littéraire : « Pendant deux siècles, dit Montégut, l’Astrée ne perdit rien de son renom. Les esprits les plus divers et les plus opposés ont également aimé ce roman : Pellisson et Huet, l’évêque d’Avranches, en étaient enthousiastes ; La Fontaine et Mme de Sévigné en raffolaient ; Racine, sans en trop rien dire, l’a lu avec amour et profit… Marivaux l’a lu et en a profité plus certainement encore que Racine… Enfin Jean-Jacques Rousseau l’admirait tellement qu’il avouait l’avoir relu une fois chaque année pendant une grande partie de sa vie ; or, comme l’influence de Jean-Jacques sur les destinées de notre moderne littérature d’imagination a été prépondérante, il s’ensuit que le succès de l’Astrée s’est indirectement prolongé jusqu’à nos jours, et que Mme Sand par exemple, sans trop s’en douter, dérive quelque peu de d’Urfé. » Montégut a oublié l’abbé Prévost. M. Brunetière répare cette omission et ajoute : « C’est comme si l’on disait que le succès de l’Astrée a donné son orientation à tout un grand courant de notre littérature. »

L’influence sociale fut au moins égale à l’influence littéraire. Il n’est cependant pas de livre qui soit aujourd’hui plus délaissé, parmi tous ceux qui ont eu leur temps de gloire et de popularité. On ne lit plus l’Astrée, on ne le peut plus ; l’excès de l’ennui

  1. Waliszewski : Marysienka.