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j’arrangerai l’affaire, je lui conseillerai de retirer son tableau. » Ce fut fait ; mais Puvis y vit un parti pris hostile et, pendant bien longtemps, s’en irrita tellement qu’il ne saluait plus les membres de ce jury.

Lequel des deux Puvis de Chavannes devons-nous préférer ? La question est difficile à résoudre. L’un est plus ample et plus beau, l’autre est plus touchant. Le mieux est de ne pas choisir et de les prendre tous les deux en félicitant l’école française d’avoir cet artiste double qui, après avoir résumé d’anciennes personnalités, a su être lui-même, tout en continuant à charmer, même dans ses défaillances puériles comme ce Pauvre Pêcheur dont la pauvreté, sur laquelle il est inutile d’insister, désarme la critique comme ces figures barbares que les paysans bretons sculptaient pour leurs jubés et leurs calvaires. J’en dirai autant à propos de sa Sainte Geneviève du dernier Salon dont l’insuffisance absolue de forme a touché tant d’âmes ferventes. D’ailleurs ce sont là les défaillances que les fanatiques prônent le plus. Il en est toujours ainsi.

Oui, il était naïf. Cependant il ne procédait pas comme les vrais simples. Il partait du compliqué pour arriver à la simplicité. Il dessinait d’abord ses figures avec toutes leurs particularités, puis il les calquait en supprimant tout détail. Alors il arrangeait, il modifiait ses compositions en appliquant ces calques les uns près des autres, les enlaçant, les changeant de place, jusqu’à ce qu’il eût trouvé sa satisfaction complète. Et il mettait un goût admirable à l’ordonnance qui sortait de cette façon de procéder. Voyez, à la Sorbonne surtout, comme les figures se balancent, s’ajustent et s’équilibrent. Toutes ces tournures uniformément résumées, tous ces gestes si bien trouvés ont à côté de leur candeur une autorité vraiment magistrale, quoique cela soit posé un peu comme des papillons dans un cadre, et que, pour soutenir une figure, on y trouve parfois le besoin d’un support factice. Mais, je le répète, l’ensemble est ravissant et les grandes localités de tons sont aussi d’un charme singulier même lorsque (comme dans le Doux Pays de l’escalier de Bonnat, où des figures se détachent en clair sur un ciel de soleil couchant) elles ne sont pas « parallèles à la Nature. » Cependant ses groupes sont rarement mus par un sentiment qui unisse logiquement leurs gestes, si admirables d’ailleurs, dans une action commune.

Je trouve que ce défaut de connexité est presque général à