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millions d’hectolitres en France[1]. On a fait aussi de grands travaux pour l’amélioration des ports.

L’Espagne redeviendra un jour ce qu’elle fut dans l’antiquité, un grand pays métallurgique. Les Carthaginois et les Romains exploitaient déjà ses mines, comme le prouvent les amas de scories, les profondes excavations, les monnaies, statuettes et outils qu’on a découverts. Elle a d’importantes richesses non seulement en fer et en cuivre, mais aussi en houille, et l’on sait ce que de telles ressources peuvent donner entre des mains industrieuses. Ce sont surtout les moyens de transport qui manquent et c’est de leur développement, selon les économistes, que dépend l’avenir industriel de cette nation si intelligente. Dans nul pays, leur défaut n’a produit plus de mauvais résultats ; dans aucun autre, peut-être, leur extension n’aurait des effets plus favorables et plus variés. Car il ne s’agit pas seulement ici des faits économiques ; il s’agit encore des conséquences politiques, intellectuelles, morales. Quand l’Espagne aura réussi à établir des communications aisées entre ses parties, elle aura triomphé de ce qu’on a appelé sa grande fatalité géographique[2], qui est devenue une fatalité psychologique. Et si elle s’ouvre aux idées du dehors, c’est alors vraiment qu’il n’y aura plus de Pyrénées.

Déjà les philosophes et sociologues d’Espagne constatent qu’une grande réaction semble s’opérer dans leur pays. Le spectacle de la prospérité et de la force que d’autres nations doivent au travail, la conscience croissante des lacunes de la moralité espagnole, la culture positive qui arrive chaque jour des régions industrielles et commerciales de la péninsule, et qui contre-balance le faux « idéalisme » aux décevans mirages, encore prédominant au centre et au midi ; le fond sain et vigoureux de la majeure partie de la nation, qui, après avoir vécu, comme en un rêve séculaire, « dans la sphère de l’action réflexe et des instincts élémentaires[3], » est prête à se réveiller et à agir ; le discrédit dont les rhéteurs deviennent l’objet dans le pays même de l’emphase héroïque, la faveur qui commence à s’attacher aux « élémens réfléchis et pratiques, » une politique enfin sage et prévoyante qui honore et défend le travail national ; la progressive élimination, par une sélection inévitable dans nos sociétés

  1. Vidal-Lablache, ibid.
  2. Vidal-Lablache, ibid.
  3. Sanz y Escartin, l’Individu et la Réforme sociale.