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moins en moins vivre en dehors du mouvement intellectuel qui entraîne toutes les nations modernes : que l’Espagne s’instruise, et elle sera changée.

Le peuple espagnol a toujours l’âme guerrière et vaillante : c’est un des traits les plus permanens de son caractère. S’il en faut croire ceux qui l’ont étudiée, l’armée espagnole, malgré ses revers, est douée de vertus militaires qui ne s’acquièrent point du jour au lendemain. Moins brillante que certaines autres, elle a peut-être plus de fond ; elle possède, en tout cas, le vrai soldat, celui qu’on a défini l’homme sobre, robuste, endurant, brave, enthousiaste et pourtant tenace, rempli d’orgueil patriotique et exalté par le sentiment de sa supériorité, sentiment si utile à la guerre. Il est malheureux que l’armée espagnole compte tant de généraux : elle en avait récemment 540 contre 300 dans l’armée française, dont l’effectif numérique est presque triple. Durant plus de trois ans, avec une énergie que toute l’Europe a admirée, l’Espagne n’a pas reculé devant les plus grands efforts et les plus lourds sacrifices pour étouffer l’insurrection de Cuba. Si elle n’y est pas parvenue, les hommes du métier font observer que les insurgés, quoique sensiblement moins nombreux, ont profité du pays et du climat pour mettre les colonnes espagnoles sur les dents, laisser faire la fièvre jaune, se rendre eux-mêmes insaisissables : ils ont retourné ainsi contre l’Espagne la tactique dont celle-ci s’était servie pour user les armées de Napoléon. Enfin, divisés sur les questions intérieures, les Espagnols retrouvent leur unité devant l’étranger : leur population étant, comme nous l’avons vu, la plus homogène au point de vue de la race, avec celle de l’Angleterre, l’esprit national est intense et invincible.

L’industrie espagnole, jadis si florissante, aujourd’hui dégénérée, se relève, quoique péniblement ; sur les quinze provinces du royaume, il en est deux ou trois où le travail industriel a pris du développement : avant tout, la Catalogne, la Biscaye, puis Valence et Alicante. Les chemins de fer finiront par faire sentir leur influence sur la richesse publique : difficiles à construire, à cause de la nature du sol, ils ne représentent encore que dix mille kilomètres, avec de mauvaises routes pour affluens, des tarifs trop élevés, une exploitation trop lente et trente kilomètres à l’heure. Malgré ces désavantages, les effets d’une meilleure circulation des produits se font déjà sentir : pour ne parler que des vins, l’Espagne s’est mise en état d’en exporter par an 5 ou 6